Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1340

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« Cette écharpe blanche », — et elle en prit une qui pendait au hamac, — « attachée à ma ceinture, flottera en l’air et guidera le vaisseau, tout le temps de mon vol, du côté de la caverne. Je vous laisse faire vos préparatifs, et vais, en attendant, voir de quel côté souffle le vent. » Ainsi Rubis quitta la cabine et s’envola très haut, pour connaître l’état des éléments qui semblaient se faire entre eux une guerre complète, depuis sa venue à bord : à son grand chagrin, elle découvrit que le mauvais Génie Tempête bataillait contre la Fée Amour, et avait changé le vent dans le dessein de retarder de nouveau le vaisseau. Mais, quoique alarmée de voir un si puissant ennemi se liguer avec les Géants, elle ne se découragea cependant point, car elle se rappelait que les méchants peuvent bien l’emporter un moment et nous donner grand mal : ils finissent toujours par avoir le dessous. Malgré les rugissements furieux du Génie, elle reprit son vol, aidée de la bonne Fée. Les voiles se déployèrent, on dérapa l’ancre et le pilote essaya de gouverner dans la direction de l’écharpe blanche, qu’on pouvait voir onduler dans l’air. La brise se leva si terrible que l’équipage prit peur, et Pat, particulièrement, murmura, à l’ordre de faire voile : « Tout cela, c'est par le fait de cette fameuse donzelle; le diable est dans le vent, je le vois, et il est trop puissant pour nous permettre d’aller au plus près, au gré de la belle. 11 vaudrait mille fois mieux le laisser faire à sa guise que courir la chance d’être péris ou noilliés. » — « Ohé! Pat, je m’étonne que tu aies la hardiesse de parler comme ça, quand les esprits sont dans l’affaire », dit Ted d’un ton de blâme. « Tu sais que le Patron nous a dit que nous allions faire une expédition de sauvetage, pour délivrer quéque pauvre gentilhomme que les Géants ont empoinié : aussi, quand nous naviguons pour une bonne cause, pas n’est besoin d’avoir peur du diable. » — « C’est la première fois que j’fais connaissance avec les esprits, et j’serais aise que ce soit la dernière », fit Pat mécontent, « car je sais qu’ils nous mettront à mal. Qu’est-ce que me fait le gentilhomme? Que les esprits s’en aillent vers un autre vaisseau, où il peut y avoir des gars qui trouveront la plaisanterie meilleure. Oh! tonnerre! si je ne croyais pas que ce coup-là allait emporter le grand mât! Il est certain que nous allons bientôt voir le fond de la mer. » — « Ici, Jacquet! » cria-t-il à un matelot qui venait de monter sur le pont avec une provision de rhum pour les hommes. « Buvons un premier coup ! » et, ce disant, Pat saisit le bidon et prit une bonne lampée qui le vida presque, ne s’inquiétant point si ses camarades allaient s’en passer, ou non. — « Le diable te tienne pour un porc assoiffé », cria Ted dans une grande colère, saisissant à son tour le bidon et