Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1435

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Londres, ces lignes ardentes : « Sans cesse à moi-même je me parle d’elle ; et je désire et j’ai besoin que tous mes amis me sachent encore, autant que par le passé, uni à elle : que son nom soit dit par vous comme si elle était là à mes côtés. Un jour même, mon Stéphane, quand, mariés, tu seras plus tranquille, je te rappellerai une dette, ces vers, ce portrait que tu m’avais promis : ce sera ton présent de noces pour mon union mystique... » Et deux mois plus tard, le 14 juin 1863, dans une lettre où il le remercie de lui avoir envoyé des vers, il ajoute : « N’essaieras-tu jamais de faire la vierge, de faire le portrait de notre chère sœur, de celle qui luit toujours sur nous comme une nuée d’étoiles... 11 y a d’adorables choses dans le portrait d’Emmanuel des Essarts, mais pourquoi lui met-il une poitrine de Sphynx. Un jour, Stéphane, que Marie par un baiser t’aura mis dans l’âme des souffles d’Allemagne, ou qu’en passant près d’un jardin, tu auras longtemps regardé un lys, ou qu’une voix d'enfant t’aura ému à force de douceur et de pureté, fais ce portrait que je te demande. » Cette demande remontait à l’année précédente. Dans une lettre du Ier juillet 1862, Mallarmé disait à Cazalis : « Tu me demandes des vers, frère. C’est à moi à te demander de m’en laisser faire... Laisse-moi donc le temps nécessaire... Si tu veux faire à la perfection de l’œuvre le petit sacrifice, non, le grand sacrifice de les attendre pour ne les envoyer que plus tard, je te les promets exquis. Je ne veux pas faire cela d’inspiration : la turbulence du lyrisme serait indigne de cette chaste apparition que tu aimes. Il faut méditer longtemps : l’art seul, limpide et impeccable, est assez chaste pour la sculpter religieusement. » Apparition, dont le mot figure dans cette lettre, pourrait bien être ce « portrait » à maintes reprises ainsi réclamé. Et, dans ce cas, Mallarmé l’aurait écrit au cours de l’été 1863. Nous ne possédons malheureusement pas de lettres de Mallarmé ni de Cazalis pour la période août-octobre 1863, et faute de témoignages, nous en sommes réduits à cette hypothèse; mais elle nous paraît assez probable. L’époque à laquelle il semble bien que ce poëme ait été écrit coïncide avec celle où Mallarmé s’essaye à traduire les poésies d’Edgar Poe : ce n’est pourtant pas tant le poëte américain que cette pièce rappelle, en dépit des séraphins lunaires d’Aunabel Lee, des lunes radieuses d'Eulalie ou de la Dormeuse, que Dante-Gabriel Rossetti et la Damoiselle Elue ; mais rien ne nous a révélé que Mallarmé les pût connaître à cette date. Albert Thibaudet, dans une note (p. 165) de La Poésie île Stéphane Mallarmé a rappelé que les deux derniers vers d’Apparition : ... Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées Neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées. rappellent ceux de Victor Hugo dans une pièce de Chants du Crépuscule : « A l’homme qui a livré une femme » :