Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/272

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l’on pense plus qu’on ne rêve : la rêverie, si elle se hasarde dans ce volume, sera donc contenue, jamais flottante, et la pensée toujours maîtresse d’elle-même. Des contours très accusés, un rythme sûr, et une certaine largeur se déroulant à la façon des grands monuments : voilà la somme qu’on doit attendre. De plus, la nature ici paraîtra dans son charme civilisé, comme dans les squares, et ne laissera passer dans les vers que les quelques bouffées humaines respirables à travers la vie qu’ils poétisent. « A Paris, derrière le million qu’on ambitionne, il y a toujours une figure de femme qui sourit et qui vous appelle avec le geste délicieux des sirènes », a dit dans ses admirables « Esquisses Parisiennes », Théodore de Banville. Aussi l’amour règne-t-il en maître dans deux parties du volume, la première et la dernière, qu’on pourrait intituler, la vie amoureuse et la vie galante, et se glisse-t-il toujours dans les deux autres, qui sont un reflet de la vie mondaine (high life) et de la vie artistique. Rarement il vient avec l’arc et le rire moqueur de Cupi-don : il y représente la passion moderne. Le poëte analyse les blessures plus souvent qu’il ne joue avec le carquois : il chante moins des péronnelles d’éventail que des femmes. Et ce n’est pas l’amour seul, mais tous les sentiments qui sont pris au sérieux. Partout éclate quelque chose de sincère, et qui se possède : rien en l’air, rien de vaporeux. Pour la forme, le vers racinien marié au vers moderne, et d’où naît une coupe originale et parfois dramatique, une langue plus sculptée que peinte, avec des hardiesses savantes. Généralement une ampleur à outrance, si bien qu’on pourrait avancer en plaisantant qu’il est peu de vers qui ne soient assez vastes et assez frappés pour terminer à merveille un sonnet. Ce n’est pas à dire pourtant que ce livre n’ait son côté frivole; il eût été incomplet si le poëte ne l’avait enrubanné de strophes en falbalas, et ne s’était fait parfois le Watteau de la mode. Pour que sa Muse fût une Parisienne, elle devait savoir parler chiffons au besoin, et chanter la ceinture régente et les petits chapeaux de velours azuline. Si le volume entier pouvait se résumer en quelques pièces, je dirais que la « Danse Idéale » révèle le mieux le procédé du poëte qui s’élève d’une mazurka à des théories platoniciennes, que la Nuit d’Hiver en donne le ton, et la Parisienne de Watteau, la couleur.