Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/280

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cervelles, à savoir, qu’il est indispensable de Renseigner dans les collèges, et irrésistiblement, comme tout ce qui est enseigné à plusieurs, la poésie sera abaissée au rang d’une science. Elle sera expliquée à tous également, égalitairement, car il est difficile de distinguer sous les crins ébouriffés de quel écolier blanchit l’étoile sybilline. Et de là, puisque à juste titre est un homme incomplet celui qui ignore l’histoire, une science, qui voit trouble dans la physique, une science, nul n’a reçu une solide éducation s’il ne peut juger Homère et lire Hugo, gens de science. Un homme, — je parle d’un de ces hommes pour qui la vanité moderne, à court d’appellation^ flatteuses, a évoqué le titre vide de citoyen, — un citoyen, et cela m’a fait penser parfois, confesser, le front haut, que la musique, ce parfum qu’exhale l’encensoir du rêve, ne porte avec elle, différente en cela des arômes sensibles, aucun ravissement extatique : le même homme, je veux dire le même citoyen, enjambe nos musées avec une liberté indifférente et une froideur distraite, dont il aurait honte dans une église, où il comprendrait au moins la nécessité d’une hypocrisie quelconque, et de temps à autre lance à Rubens, à Delacroix, un de ces regards qui sentent la rue. — Hasardons, en le murmurant aussi bas que nous ,\ pourrons, les noms de Shakespeare ou de Goethe : ce drôle redresse la tête d’un air qui signifie : « Ceci rentre dans mon domaine. » C’est que, la musique étant pour tous un art, la peinture un art, la statuaire un art, — et la poésie n’en étant plus un (en effet chacun rougirait de R ignorer, et je ne sais personne qui ait à rougir de n’être pas expert en art), on abandonne musique, peinture et statuaire aux gens du métier, et comme l’on tient à sembler instruit, on apprend la poésie. 11 est à propos de dire ici que certains écrivains, maladroitement vaillants, ont tort de demander compte à la foule de l’ineptie de son goût et de la nullité de son imagination. Outre « qu’injurier la foule, c’est s’encanailler soi-même », comme dit justement Charles Baudelaire, l’inspiré doit dédaigner ces sorties contre le Philistin : l’exception, toute glorieuse et sainte qu’elle soit, ne s’insurge pas contre la règle, et qui niera que l’absence d’idéal ne soit la règle ? Ajoutez que la sérénité du dédain n’engage pas seule à éviter ces récriminations ;