Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/591

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LE « TEN O’CLOCK » DE M. WHISTLER Mesdames et Messieurs, C’est avec une grande hésitation, et pas mal de crainte, que je parais devant vous, dans le rôle de prédicateur. Si la timidité a quelque rapport avec la vertu de modestie, et me peut valoir votre faveur, je vous prie, au nom de cette vertu, de m’accorder toute indulgence. Je plaiderais mon manque d’habitude, s’il n’était d’abord invraisemblable, à en juger par les précédents, qu’on pût s’attendre à rien d’autre qu’à l’effronterie la plus manifeste, en raison de mon sujet — car je ne veux pas vous cacher que je me propose de vous parler sur l’Art. Oui, l’Art — qui depuis peu est devenu, au moins autant que la discusssion ou les écrits aient pu en faire cela, une sorte de lieu commun pour l’heure du thé. L’Art court la rue ! — un galant de passage lui prend le menton — le maitre de maison l’attire à franchir son seuil — on le presse de se joindre à la compagnie, en gage de culture et de raffinement. Si la familiarité peut engendrer le mépris, l’Art certainement — ou ce qu’on prend couramment pour lui — en est arrivé à son degré le plus bas d’intimité avec tous. Les gens, on les a harassés de l’Art sous toutes les formes, on les a contraints par tous les moyens de le supporter. On leur a dit, comment ils le doivent aimer, vivre avec. Ils ont vu leurs logis envahis, leurs murs hantés de papier, jusqu’à leurs vêtements pris à parti — au point que, hors de soi enfin, effarés et remplis de ces doutes et des malaises que cause une suggestion sans motif, ils se vengent d’une pareille intrusion et renvoient les faux prophètes qui ont couvert de discrédit le nom même du Beau; eux, de ridicule. Mêlas ! Mesdames et Messieurs, on a diffamé l’Art, qui n’a rien de commun avec de telles pratiques. C’est