Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/627

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énigme, froidement insiste la princesse qui ne sait pas son secret dévoilé. Je voudrais, hélas ! être plus digne de vous; mais telle vous me considérez, telle je suis vraiment. — Trêve de cette plaisanterie qui gâche un temps précieux. Coquette, qui vous jouez de ma tendresse. Je ne suis pas endurant et on me cède d’ordinaire. Quoi ! vous n’obéissez, c’est mettre ma patience à trop d’épreuve. Jetez l’infamie d’un déguisement, ou je vous tue sur-le-champ. — Tuez-moi donc, Monseigneur; j’en suis désolée, mais je ne saurais changer de peau, même pour vous plaire. » Supplications, menaces, tout échoue devant une obstinée. L’époux prend le parti de se coucher à côté de sa femme; il évoque, au contact de cette chair flétrie, le souvenir de la nubile fraîcheur qu’il regarda le matin : mais si vive soit une imagination elle ne peut quelquefois effacer la réalité. Cette première nuit de noces s’en ressentit. Avant le jour la princesse croyant au sommeil de son mari, glissa du lit, pour commencer ses ablutions en l’albâtre d’un proche réduit. Le jeune homme qui guettait au lieu de dormir, a furtivement suivi sa femme et, saisissant la fameuse peau qui s’étalait à terre, il la lança dans un brasero, où se consument des parfums : elle grésilla avec un bruit à son ouïe enchanteur, et presque de baisers : « Brûle, menteuse peau, exhala-t-il : tu m’as causé assez d’ennui ! » et se tournant vers Fleur-de-Lotus, enjoué plaisanta : « Vous voilà bien à plaindre maintenant d’être condamnée à rester la plus belle et la plus aimée des femmes. N’en rougissez pas ! j’ai surpris le secret de votre beauté à l’étang lustral des lotus, où je jurai de ne prendre jamais d’autre épouse que vous. » Un baiser mieux senti que ceux de la nuit conclut le discours du prince à Fleur-de-Lotus qui se laissa faire sans rancune. Le palais retentit, comme au choc sacré d’un gong, de l’heureuse nouvelle : la princesse rendue à l’enfance fut solennellement présentée au regard de toute la famille. Dire la joie des deux sœurs en se reconnaissant et tombées aux bras l’une de l’autre exigerait l’accompagnement d’un très accordé entre les instruments de musique, tendu des fibres même de cœurs aimants : certes, après tant d’aventures, elles avaient mérité le bonheur, qui est muet.