Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/651

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dans la cour du palais, avec des roulements de tonnerre. La foule accourt enthousiasmée; il n’est pas jusqu’aux paons perchés sur les tuiles incendiées par le soir, qui n’imitent, avec leur queue éblouissante, chaque roue du char véloce; aux éléphants, qui n’encensent de leur trompe le plafond doré des stalles. Fête, par mille chants célébrée comme quand les nuées apportent la pluie. Damayantî, du fond de son appartement discerne les clameurs, elle tressaille, a-t-elle deviné l’approche du bien-aimé ? Nala seul savait ainsi faire courir un char. Lui remplit ses fonctions en conscience, il vient de dételer les chevaux, les panse suivant la règle et la vigueur rendue aux nobles animaux, songe à se faire un lit sur le siège; le véhicule remisé, vibrant, vers un vaste hangar. — « La princesse souhaite connaître le motif qui amena les illustres voyageurs. » Sa fidèle servante Kécini, jamais embarrassée pour lier conversation, a dit ces mots soufflés par elle. Nala, en garde contre tous les pièges, répond indifféremment, que le roi Ritouparna est venu pour le swayambara de la fille de Bhîma. Sans s’occuper de qui le regarde avec une curiosité peu déguisée, il va prendre de l’eau dans les urnes, pour laver l’essieu, les roues et la caisse resplendissante. — « N’y a-t-il pas, chez le roi votre maître (elle ne se décourage pas), un cocher jadis au service de Nala et qui parût au fait de son sort ? — On t’a trompée, jeune fille. Nala erre, inconnu, sur la terre. Personne ne peut savoir où il se cache. — Le Brahmane Soudêva, pourtant, est digne de foi. A l’en croire, cet homme conta que la princesse ne devait pas s’irriter : plutôt plaindre son mari d’être tombé dans une grande infortune. N’essaie pas de le nier: cet homme c’était toi Vahouka. Suis-moi et viens répéter à ma chère maîtresse le propos tenu devant le saint. » L’attitude de Nala s’ébranle, sa froideur fond et d’une voix mouillée de larmes : « Soit. Si je l’ai dit, je le répète. Abandonnée de son époux, une femme de haute naissance ne tombe pas à la colère, les épreuves concourent au triomphe de sa vertu et Nala, tu parlais de lui, était assez frappé, sans trouver, au fond du sort, ce suprême poison que celle-là le trahit; par lui jadis choisie devant le feu sacré, à la face des dieux. »