Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/734

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contrée, comme, par sa nature, une flore, ne présente-t-elle pas, issu des mains de l'homme, un écrin complet ? L’instinct de beauté et de relation avec les climats divers, qui règle, sous chaque ciel, la production des roses, des tulipes et des œillets, est-il étranger à celle des pendants d’oreilles, des bagues, des bracelets ? Fleurs et joyaux : chaque espèce n’a-t-elle pas comme qui dirait son sol ? Tel éclat de soleil convient à cette fleur, tel type de femme à ce joyau. Cette harmonie naturelle régna dans le passé, mais elle semble abolie dans le présent; si l’on en excepte les peuples aux yeux de tous demeurés barbares, ou encore certains paysans qui, chez nous, passent pour rebelles à la civilisation. La Civilisation! lisez « l’époque où a disparu presque toute puissance créatrice... dans la Bijouterie comme dans le Mobilier »; et, dans l’un comme dans l’autre, nous sommes forcés ou d'exhumer ou d’importer. Importer quoi ? les bracelets de verre filé de l’Inde et les pendants d’oreilles en papier découpé de la Chine ? non; mais, souvent, le goût naïf qui préside à leur confection. Exhumer quoi ? les lourdes parures des siècles oubliés, faites pour rehausser, par un éclat violent, les velours de théâtre et les brocarts de sacristie : point, mais la hardiesse avec laquelle elles se placent, comme des touches magistrales, sur la coutume. Qui sait ? il nous faut même aller jusqu’au point de jonction antérieur de ces deux inspirations, très-différentes, de l’art de l’orfèvre : c’est-à-dire dans l’antiquité classique et barbare. Notre Musée Campana (on s’en souvient) : demandez aux grands joailliers, qu’ils s’appellent Froment-Meurice, Rouvenat ou Fontenay, si leur admirable science, toute critique, ne vient pas de là, ainsi que des vitrines de l’Hôtel de Cluny, ou du comptoir parisien des marchands japonais, voire algériens. Ainsi le seul Paris se plaît à résumer l’univers, musée lui-même autant que bazar : rien qu’il n’accepte, étrange; rien qu’il ne vende, exquis. Londres, certes, a des bijoux, singuliers, massifs, et j’y vois un certain charme intime, préférable seulement à un de nos défauts, à nous : à savoir, dans la joaillerie, d’être spirituels; demeurons simplement, ici, des ornemanistes. La Décoration ! tout est dans ce mot : et je conseillerais à une dame, hésitant à qui confier les dessins d’un Bijou désiré, de le demander, ce dessin, à FArchitecte qui lui construit un hôtel, plutôt qu’à la faiseuse illustre qui lui apporte sa robe de gala. Tel, en un mot, l’art du Bijou; et, ceci dit pour n’y jamais revenir, passons de quelques lieux communs à quelques détails. Rien que de simple : il est prouvé maintenant qu’une promenade de plusieurs après-midi sur les boulevards, rue de la Paix, au Palais-Royal, et dans quelques ateliers célèbres, suffit à nous apprendre « tout ce qui se fait de mieux