Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/739

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ordinairement de ce fait. Je serai, ignoré, cet ami qui prête des livres. Quand le nombre s’en accroîtra au point que les quelques lignes employées à les nommer imiteront le catalogue d’une bibliothèque, tant pis ou tant mieux ! Le cas se rencontrera fréquemment : car la surprise, magnifique et charmante, que je garde à qui m’écoutera même distraitement, c’est de montrer que nulle époque, autant que la nôtre, ne produit d’œuvres faites pour être lues dans les heures de silence; désintéressées, ce qui, pour l’élite, veut dire intéressantes. Tâche aimable : mais en ce qui concerne, par exemple, les Spectacles, plus grave. Un livre est tôt fermé, fastidieux, et on laisse le regard se délasser dans ce nuage d’impressions qu’à volonté dégage, comme les anciens dieux, la personne moderne pour l’interposer entre les aventures banales et soi. Quelle inévitable traîtrise, au contraire, dans le fait d’une soirée de notre existence perdue en cet antre du carton et de la toile peinte, ou du génie : un Théâtre! si rien ne vaut que nous y prenions intérêt. Pas de nues dont l’on puisse s’environner, sous la lumière réelle du gaz, autres que la robe de tissus vaporeux, froissés dans l’impatience. Vaines, splendides, incompréhensibles, de vivantes marionnettes devant nous proclament à haute voix leur sottise, sur un fond d’ennui intense et exaspéré; et qui fait d’elles comme les acteurs d’un cauchemar spécial, très-rare, heureusement. Rien, le Décor, paysage du nord ou du midi, intérieur de palais grandiose, prendra toujours quelque chose de notre attention, par cela seul qu’il évoque ces sites; et nous nous amuserons d’habits anciens ou étrangers, contemporains même des nôtres et transfigurés ! Oui, ceci donné, que l’art dramatique de notre Temps, vaste, sublime, presque religieux, est à trouver (et que rien ne nous autorise, dans ces causeries prolongées pendant une demi-heure à en formuler l’idéal), il reste à montrer du doigt, simplement, les Directeurs, à la porte de qui se forme la queue où stationnent les rangs nombreux de voitures. Ce geste, nous aurons à le faire, à tout moment de l’année, car, si la curiosité pure ne chôme jamais, Paris, vraiment, dont le monde entier copie les tréteaux! a toujours de quoi la tenir en éveil. Aux Feuilletons traditionnels des lundis ou des lendemains de répétitions générales, envoyés, sous la bande des grands journaux politiques, dans chaque intérieur bien longtemps avant qu’on ne nous reçoive, laissons (pour ne faire avec personne double emploi), la fonction de classer ou d’analyser la pièce, de la juger, de la définir avec compétence. Toute notre esthétique tient dans ces paroles : Y a-t-il, en telle salle, lieu à s’amuser ? et : Ici l’on rit ; on pleure là, ou : La vraie représentation est, dans cette nuit de gala, non ce