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EN FAMILLE.

l’aurait voulu, agitée par les tiraillements de son estomac, effarée par les fantômes de son imagination.

Quelles bêtes peuplaient cette forêt ? Des loups peut-être ?

Cette pensée la tira de sa somnolence, et s’étant relevée, elle prit un solide bâton, qu’elle aiguisa d’un bout avec son couteau, puis elle se fit un entourage de fagots. Au moins si un loup l’attaquait, elle pourrait, de derrière son rempart, se défendre ; certainement, elle en aurait le courage. Cela la rassura, et quand elle se fut recouchée dans son lit de copeaux, en tenant son épieu à deux mains, elle ne tarda pas à s’endormir.

Ce fut un chant d’oiseau qui l’éveilla, grave et triste, aux notes pleines et flûtées, qu’elle reconnut tout de suite pour celui du merle. Elle ouvrit les yeux, et vit qu’au-dessus de ses fagots, une faible lueur blanche perçait l’obscurité de la forêt, dont les arbres et les cépées se détachaient en noir sur le fond pâle de l’aube : c’était le matin.

La pluie avait cessé, pas un souffle de vent n’agitait les feuilles lourdes, et dans toute la forêt régnait un silence profond que déchirait seulement ce chant d’oiseau, qui s’élevait au-dessus de sa tête, et auquel répondaient au loin d’autres chants, comme un appel matinal, se répétant, se prolongeant de canton en canton.

Elle écoutait, en se demandant si elle devait se lever déjà et reprendre son chemin, quand un frisson la secoua, et en passant sa main sur sa veste, elle la sentit mouillée comme après une averse ; c’était l’humidité des bois qui l’avait pénétrée, et maintenant, dans le refroidissement du jour naissant,