Page:Malot - En famille, 1893.djvu/252

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
246
EN FAMILLE.

bien à son île ; ou bien encore à ce qu’elle avait entrepris ou voulait entreprendre pour améliorer sa situation, ses espadrilles, sa chemise, son caraco, sa jupe. Et alors son rêve, comme s’il obéissait à une suggestion mystérieuse, mettait en scène le sujet qu’elle avait tâché d’imposer à son esprit : tantôt un atelier dans lequel la baguette d’une fée remplaçant le pilon de La Quille, donnait le mouvement aux mécaniques, sans que les enfants qui les conduisaient eussent aucune peine à prendre ; tantôt un lendemain radieux, tout plein de joies pour tous ; une autre fois il faisait surgir une nouvelle île d’une beauté surnaturelle avec des paysages et des bêtes aux formes fantastiques qui n’ont de vie que dans les rêves ; ou bien encore plus terre à terre son imagination lui donnait à coudre des bottines merveilleuses qui remplaçaient ses espadrilles, ou des robes extraordinaires tissées par des génies dans des cavernes de diamants et de rubis, lesquelles robes remplaceraient à un moment donné le caraco et la jupe en indienne qu’elle se promettait.

Sans doute ce moyen de suggestion n’était pas infaillible, et son imagination inconsciente ne lui obéissait ni assez fidèlement, ni assez régulièrement pour avoir la certitude, en fermant les yeux, que les pensées de sa nuit continueraient celles de sa journée, ou celles qu’elle suivait quand le sommeil la prenait, mais enfin cette continuation s’enchaînait quelquefois, et alors ces bonnes nuits lui apportaient un soulagement moral aussi bien que physique qui la relevait.

Ce soir-là lorsqu’elle s’endormit dans sa hutte close, la dernière image qui passa devant ses yeux à demi noyés par le sommeil, aussi bien que la dernière idée qui flotta dans sa