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EN FAMILLE.

ne soupçonnaient pas sa présence, ou qu’elle ne les intéressait pas, et, après avoir attendu un certain temps qui leur permit de s’éloigner, elle put revenir à la route.

Ce bon sommeil l’avait reposée ; et elle fit quelques kilomètres assez gaillardement, quoique la faim maintenant lui serrât l’estomac et lui rendît la tête vide, avec des vertiges, des crampes, des bâillements, et qu’elle eût les tempes serrées comme dans un étau. Aussi quand du haut d’une côte qu’elle venait de monter, elle aperçut sur la pente opposée les maisons d’un gros village que dominaient les combles élevés d’un grand château émergeant d’un bois, se décida-t-elle à acheter un morceau de pain.

Puisqu’elle avait un sou en poche, pourquoi ne pas l’employer, au lieu de souffrir la faim volontairement ? à la vérité quand elle l’aurait dépensé il ne lui resterait plus rien ; mais qui pouvait savoir si un heureux hasard ne lui viendrait pas en aide ? il y a des gens qui trouvent des pièces d’argent sur les grands chemins, et elle pouvait avoir cette bonne chance ; n’en avait-elle pas eu assez de mauvaises, sans compter les malheurs qui l’avaient écrasée ?

Elle examina donc son sou attentivement pour voir s’il était bon ; malheureusement elle ne savait pas très bien comment les vrais sous français se distinguent des mauvais ; aussi était-elle émue lorsqu’elle se décida à entrer chez le premier boulanger qu’elle vit, tremblant que l’aventure de Saint-Denis se reproduisît.

« Est-ce que vous voulez bien me couper pour un sou de pain ? » dit-elle.

Sans répondre, le boulanger lui tendit un petit pain d’un