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Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 2.djvu/266

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SANS FAMILLE

de se réveiller : c’était là un spectacle curieux qui méritait d’être vu.

À mesure que notre vapeur remonta le fleuve, ce spectacle devint de plus en plus curieux, de plus en plus beau : ce n’était plus seulement les navires à voiles ou à vapeur qu’il était intéressant de suivre des yeux, les grands trois-mâts, les énormes steamers revenant des pays lointains, les charbonniers tout noirs, les barques chargées de paille ou de foin qui ressemblaient à des meules de fourrages emportées par le courant, les grosses tonnes rouges, blanches, noires, que le flot faisait tournoyer ; c’était encore ce qui se passait, ce qu’on apercevait sur les deux rives, qui maintenant se montraient distinctement avec tous leurs détails, leurs maisons coquettement peintes, leurs vertes prairies, leurs arbres que la serpe n’a jamais ébranchés, et çà et là des ponts d’embarquement s’avançant au-dessus de la vase noire, des signaux de marée, des pieux verdâtres et gluants.

Je restai ainsi longtemps, les yeux grands ouverts, ne pensant qu’à regarder, qu’à admirer.

Mais voilà que sur les deux rives de la Tamise les maisons se tassent les unes à côté des autres, en longues files rouges, l’air s’obscurcit ; la fumée et le brouillard se mêlent sans qu’on sache qui l’emporte en épaisseur du brouillard ou de la fumée, puis, au lieu d’arbres ou de bestiaux dans les prairies, c’est une forêt de mâts qui surgit tout à coup : les navires sont dans les prairies.

N’y tenant plus, je dégringole de mon observatoire et je vais chercher Mattia : il est réveillé et le mal de