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que cette phrase sacramentelle, qui précédait toujours toutes leurs conversations.

Eh bien ! répondit M. Pascaud, en enfonçant un des coins de sa serviette entre son col de chemise et son cou, eh bien ! devine un peu, pour voir. »

Une autre femme se fût probablement impatientée, et eût répondu d’un ton de mauvaise humeur. Mme Pascaud était d’un tempérament doux et tranquille, elle aimait ces petites devinettes qui animaient la conversation ; et puis elle avait une telle foi dans la supériorité de son mari qu’elle prenait toujours par le bon côté ses taquineries amicales.

Elle lui servit une côtelette de veau panée, de très belle apparence, et lui dit : « Je devine que tu n’a pas eu besoin d’être comme un crin.

— Je t’en réponds, s’écria M. Pascaud, en attaquant sa côtelette avec une grande énergie.

— Il te plaît ?

— Et il te plaira aussi : un homme pâle, tout à fait comme il faut, gentil avec le monde. Il n’entend rien aux affaires, et il le dit sans fausse honte. » Ici, M. Pascaud posa solidement sur la toile cirée de la table, ses deux mains armées du couteau et de la fourchette, qu’il tenait la pointe en l’air, comme des chevaux de frise, et il ajouta en se penchant pardessus la table : « Il m’a dit : Monsieur Pascaud, j’ai besoin de toute votre indulgence, vous serez mon maître et je serai votre élève ; je tâcherai de ne pas avoir la tête trop dure et de profiter de vos bonnes leçons.

— Il a dit cela ? s’écria Mme Pascaud en prenant exactement la même pose que son mari, de sorte qu’ils se faisaient pendant, des deux côtés de la table.

— Il a dit cela ! répondit M. Pascaud avec emphase, et puis, ajouta-t-il, en donnant un nouvel assaut à la côtelette, il a encore dit autre chose. »

Pour se donner la force d’écouter la suite, Mme Pascaud but un demi-verre d’eau rougie ; j’ai le regret d’ajouter qu’elle s’essuya les lèvres du revers de sa main.

« Voici ce qu’il a dit… mais d’abord, te souviens-tu du remerciement que j’ai reçu de l’autre pour avoir fait ses provisions ?