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sa vie, il s’oublia jusqu’à donner un coup de poing sur la table. Je crains, reprit-il, que l’esprit de révolte ne soit entré dans cette famille. » Mais il lui suffit de jeter un coup d’œil sur les cinq chanoinesses pour comprendre que si l’esprit de révolte était dans cette famille, du moins le mal était circonscrit.

Il ajouta d’un ton plus calme: « Les deux coupables vont monter dans leurs chambres respectives, pour y réfléchir sur leur faute ; nous tiendrons conseil avec Mlle Foulonne, et nous déciderons, après mûre réflexion, sur ce qu’il conviendra de faire. Allez ! »

Les deux coupables sortirent de table et montèrent à leurs chambres respectives: le reste de la société, pour se distraire, alla contempler le jet d’eau et le paon qui ne voulait pas faire la roue.

Mme de Minias tira son mari à part, pour causer avec lui du grand évènement qui avait troublé le calme de leur vie conventuelle.

M. le comte, qui s’était montré si décidé et si féroce en public pour affirmer son autorité de père de famille, déposa toute sa décision et toute sa férocité sur le seuil du boudoir de sa femme.

« Eh bien, ma chère, que pensez-vous de cela ? demanda-HI d’un air indécis.

— Je pense, reprit la comtesse d’un air réfléchi, que la vie que nous menons est peut-être trop retirée et trop triste pour ces deux pauvres petits.

— Mais les cinq autres sœurs s’en accommodent, objecta timidement le comte.

— Tous les enfants n’ont pas le même caractère, répondit la comtesse avec beaucoup de bon sens, et ce qui convient aux uns peut très bien ne pas convenir aux autres. Il serait peut-être prudent de leur donner quelques-unes des distractions qui conviennent à leur âge.

— Peut-être, » dit le comte ; mais il répondait « peut-être » plutôt par respect pour la raison supérieure de sa femme que par conviction intime. Il avait été lui-même un marmot timide, un peu inerte et indifférent ; la preuve, c’est qu’on avait pu le marier à la Silleraye, au lieu de lui laisser prendre son vol. Il jugeait des autres par lui-même, et ne-comprenait pas qu’un enfant pût désirer ce dont il s’était si facilement passé. Mais il avait le bon esprit de se défier de son propre jugement.

« Cependant, reprit-il, si Maurice doit voir quelques enfants,