Page:Maman J. Girardin.pdf/176

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de plaisir et de confusion ; oui, une jolie nièce, qui laisse son oncle debout, avec un enfant sur les bras, au lieu de le faire entrer à la maison et de le faire rafraîchir.

— Tout ça, reprit l’oncle avec malice, c’est pour ravoir l’enfant ; mais c’est mon filleul et j’ai le droit de le garder aussi longtemps que je voudrai, n’est-ce pas, Vincent ? »

Le jeune Vincent prit ces paroles pour un encouragement à tirer les boucles d’oreilles de son parrain, et il les tira à toute volée comme un sonneur de cloches. Le drôle faisait honneur à sa nourrice ; je veux dire qu’il avait le bras étonnamment vigoureux pour un enfant de son âge, et ses petites pinces étaient aussi tenaces que celles d’une écrevisse aux abois. À chaque saccade, le lobe des oreilles de M. Pichon s’allongeait d’un demi-pouce et devenait d’abord tout blanc, pour prendre bientôt la coloration de la braise ardente, lorsque la réaction s’opérait. Sur la joue rebondie de M. Pichon, il se formait chaque fois une série de petits plis convergents, qui venaient aboutir à l’oreille. La tête de M. Pichon s’emplissait de bourdonnements ; et les yeux de M. Pichon s’emplissaient de petites larmes brillantes, dans les coins. Mais M. Pichon, homme courageux et stoïque, souriait d’un air de béatitude, au milieu de ses tortures.

« Quelle poigne ! disait-il avec admiration, en voilà un qui saura tenir les chevaux en bride, si jamais il devient conducteur de diligence. Hardi ! mon garçon, ne te gêne pas ; je n’aurais jamais cru que ce fût si amusant de se faire tirer les oreilles. Mais voyez donc comme il s’anime au jeu ! »

« Il vous assassine les oreilles, dit la jeune femme avec inquiétude, elles sont rouges comme du feu:

— Si j’ai les oreilles rouges, j’ai le cœur content, plus content que le jour où j’ai tiré un bon numéro à la conscription ! Maintenant, ma petite, je vais vous dire quelque chose que vous prendrez comme un compliment, si vous voulez, mais qui est la pure et simple vérité. C’est la première fois que je descends de voiture sans éprouver le besoin d’abattre la poussière avec un verre de vin. Pourtant, un bon verre de vin est une bonne chose, surtout après un voyage en chemin de fer. Si donc vous y tenez absolument, nous entrerons pour trinquer. »

Toujours chargé de son doux fardeau, M. Pichon fit deux