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aux éclats. Les jeux, comme chacun le sait maintenant, font partie d’une éducation bien dirigée, et c’est en ce sens que le capitaine s’occupe d’éducation.

Son nom, porté sur les ailes de la renommée, vole de famille en famille ; sans le savoir il devient un auxiliaire puissant pour Mlle Foulonne et pour miss Pratt. Pour réprimer les petits écarts de leurs écoliers et les maintenir dans les limites du devoir, ces dignes personnes n’ont qu’à lever l’index et à dire : « Si vous n’obéissez pas, vous n’irez pas demain chez Mme Gilbert. » Cette terrible menace coupe court à toute velléité d’insubordination et de paresse.

Je ne connais pas, pour ma part, de musique plus capable de guérir un hypocondre que les joyeux éclats de rire d’une bande d’enfants heureux. Les éclats de rire qui partent du jardin du percepteur réveillent les échos endormis du vieux Donjon ; la vie renaît dans ce coin de la haute ville. Plus d’un vieillard aux mains tremblantes, plus d’une vieille dame à la joue ridée et aux cheveux blancs, prêtent l’oreille à cette joyeuse musique ; un instant ils se souviennent qu’ils ont été jeunes, mais jamais si jeunes que cela ! Alors, selon leur caractère, ils soupirent ou ils sourient.

Plus d’un petit garçon qui joue solitaire dans un grand jardin, plus d’une petite fille qui boude devant son piano ou sa dictée, dressent l’oreille, comme le cheval de guerre au bruit de la trompette. Peut-être les leçons de rudiment, les gammes de piano, les dictées leur paraîtraient-elles moins fastidieuses, s’il leur était permis de rire un peu tous les jours de ce bon rire-là.

Un vieux magistrat, qui s’était introduit dans la maison sous prétexte de jouer aux échecs avec le percepteur, disait un jour à Mme Gilbert:

« Vous êtes une femme dangereuse, et vous ne savez pas tout le mal que vous faites. Je ne reconnais plus la Silleraye ; les marmots s’aperçoivent qu’ils s’ennuient de vivre isolés et deviennent insupportables. Vous ne pouvez pas évidemment accepter tous les enfants de la ville, mais vous verrez que l’on congédiera les précepteurs et que l’on enverra tous ces bambins au collège pour qu’ils aient des camarades. Vous croyez que je plaisante, je ne plaisante pas le moins du monde. À l’heure qu’il est, je connais trois familles qui se font des visites pour distraire les enfants ; ces gens-là depuis vingt