Page:Maman J. Girardin.pdf/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est oui, répondit M. Pichon, en rougissant de plaisir et d’orgueil. Vous êtes bien honnête ! vous m’avez plu tout de suite. Sophie, ici ! Allons, plus vite ; à qui est-ce que je parle ? »

Sophie apparut à la porte de la salle à manger, tenant toujours sa serviette sur son bras.

« Vite, ma fille, deux couverts dans la petite salle.

— Et la table d’hôte ? » objecta Sophie.

M. Pichon, sans dire un mot, la regarda fixement de son demi-œil, et aussitôt elle se mit en devoir d’obéir. Mais auparavant elle leva les deux bras en l’air, comme pour dire: « La table d’hôte se tirera de là comme elle pourra, je m’en lave les mains. »

La table d’hôte, cependant, après une assez longue attente, se mit à témoigner son impatience, en battant la charge avec les manches des couteaux sur les assiettes. Deux commis-voyageurs imitaient le cri de l’âne et le chant du coq avec une rare perfection.

Le maître de l’hôtel, un grand bel homme avec des joues roses et des favoris mousseux, se leva du canapé où il dormait les yeux ouverts et s’en alla demander à la table d’hôte si c’était raisonnable de faire un vacarme pareil ; la table d’hôte à son tour demanda à l’homme aux joues roses si c’était raisonnable de faire attendre des voyageurs pressés par l’heure. L’homme aux joues roses, ne sachant que répondre, referma tranquillement la porte et vint consulter sa femme.

Sa femme acheva sans se presser la page qu’elle lisait dans un roman de cabinet de lecture, et calma la table d’hôte en déclarant que le feu n’était pas à la maison, que l’on avait du temps devant soi, et que M. Pichon avait formellement promis d’attendre que la table d’hôte eût achevé de dîner. Là-dessus, l’hommc rose retourna à son canapé et la maîtresse du logis à son roman.

Cependant M. Pichon, qui était un homme de ressource, simplifia les choses en aidant Sophie. Quand la table fut mise dans la petite salle, il congédia la servante et déclara qu’il connaissait très bien le chemin de la cuisine.

Tout en faisant le service, il ne perdait pas un coup de dent, et trouvait encore moyen de parler.

« Eh bien ! monsieur, dit-il après le potage, revenons à nos moutons ; pourquoi partout, excepté à la Silleraye, voit-on des chiens dans les rues ?