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sur leurs traces, tous ne se destinent pas aux écoles ou aux emplois publics, mais tous achèvent leurs études classiques.

M. Pichon est un tantinet jaloux de Michet, qui transporte tant de jeunes gens en uniforme. « Je suis encore vert, se dit-il quelquefois ; si j’avais tenu bon, c’est moi qui aurais ce plaisir-là. » Mais il se reproche bien vite cette vilaine pensée. Si lui, Pichon, avait été ambitieux au point de retenir le pouvoir jusqu’à la dernière minute, où serait à cette heure le pauvre Michel, qui devient dodu et florissant comme un vrai conducteur ? Où serait la famille du tonnelier, qui soutient si dignement l’honneur du nom ? Savez-vous qu’André Pichon père ne suffit plus aux commandes, et qu’il a pris trois compagnons ? Savez-vous qu’André Pichon fils va un de ces quatre matins succéder à son père ? Savez-vous que le prix de sagesse a étudié pour être instituteur, et qu’il est breveté, et qu’il est maître élémentaire au collège ? Savez-vous que l’homme à la voix enrouée se distingue sous les ordres du pâtissier suisse, et que dans deux ou trois ans il pourrait bien épouser la « demoiselle » et prendre la suite des affaires ? Savez-vous enfin que le filleul de M. Pichon étudie le latin et le grec, comme un jeune homme de la haute ville ? Savez-vous bien que tout ce monde-là adore le vieux père Pichon ? Aussi le père Pichon trouve que tout est pour le mieux ; il espère se laisser adorer pendant de longues années. Pourquoi n’atteindrait-il pas la centaine, puisque le journal a dit que cela se pourrait bien ? « Madame Mère » fait comme M. Pichon, elle se laisse dorloter, et elle est fière de ses enfants et de ses petits-enfants. Tous les ans, les Maulevrier viennent passer les vacances à la Silleraye. Ils n’ont qu’un fils, et ce fils vient d’entrer à l’École de Marine.

Louise a épousé un riche propriétaire des environs de la Silleraye. De la terrasse du percepteur, on voit les tourelles du château et une partie du parc. On pourrait presque échanger des signaux.

Le vieux Pascaud n’est plus commis de la perception, il s’est retiré de lui-même quand son écriture est devenue tremblée et illisible. Il cultive son jardin, en compagnie de sa bonne femme ; les changements qui se sont produits et qui se produisent tous les jours à la Silleraye leur fournissent une abondante matière pour d’interminables conversations.