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le bourrelier viendra tendre la courroie aux chapeaux et recoudre une des poches du coupé. Il faudra jeter une douzaine de seaux d’eau sur la diligence, serrer l’écrou de la première roue à gauche et ne pas ménager le cambouis. Tu m’as bien compris.

— Oui, monsieur Pichon.

— Je vais passer moi-même chez le bourrelier ; s’il n’est pas venu à quatre heures, tu iras le chercher. Je ne veux pas que ma diligence ait l’air d’une patache ! »

Ayant bien ruminé, le menton dans la main, pour voir s’il n’avait rien oublié, M. Pichon gagna à grandes enjambées l’auberge de la Pintade, où il prenait ses repas.

M. Pichon avait la réputation méritée d’avoir un excellent coup de fourchette ; mais il se montra pour cette fois au-dessous de sa réputation.

Par moments, il cessait de manger et regardait droit devant lui, comme ces chevaux qui sont à la pâture et qui relèvent la tête, pour regarder par-dessus la haie, oubliant de mâcher la bouchée d’herbe qu’ils ont entre les dents. Lui aussi s’oubliait à regarder par delà les murs enfumés de la Pintade des choses toutes nouvelles qui venaient d’entrer dans sa vie, et qui l’étonnaient, parce qu’il n’y était point habitué.

« Vous êtes tout « chose » aujourd’hui, monsieur Pichon, lui dit obligeamment la grosse matrone aux bras nus qui remplissait avec beaucoup d’activité les triples fonctions de maîtresse, de cuisinière et de servante ; vous n’êtes pas malade ?

— Oh non !

— Vous n’êtes pas ennuyé ?

— Oh non ! seulement j’ai des affaires qui m’occupent.

— Dans votre partie, reprit la matrone en posant son pouce et son index replié sur le coin de la table, on doit avoir beaucoup de casse-tête.

— Ne m’en parlez pas, répondit M. Pichon avec emphase: des commissions à n’en plus finir, c’est à en perdre la tête. Puisque nous parlons de cela, voudrez-vous avoir la complaisance de prévenir les amis que je ne viendrai pas faire la partie de bézigue aujourd’hui, j’ai une affaire juste à trois heures…un rendez-vous. »

Les « amis » auxquels M. Pichon faisait allusion étaient trois personnages rondelets et rubiconds comme lui, qui appartenaient,