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Alors M. Pichon prit à part le garçon d’écurie et lui demanda s’il y avait en ce moment des chevaux de rechange. Oui, il y avait des chevaux de rechange.

« Ça tombe bien, dit M. Pichon, et si Flageolet est libre, ça tombe encore mieux.

— Pourquoi ça ? demanda le garçon d’écurie.

— Parce que Flageolet est une bonne bête que je connais et qui me connaît, et que Tringlot est un fainéant. Tu me donneras Flageolet demain matin, et tu colleras Tringlot au Breton ; c’est lui qui l’a acheté, il est bien juste que ce soit lui qui s’en serve. »

Ayant réglé cette petite affaire à son entière satisfaction, le philosophe retomba dans le vide. Un moment, il eut l’idée de se mettre au lit pour faire passer le temps plus vite. Mais il eut la sagesse de prévoir que s’il se couchait en plein jour, il passerait une nuit blanche à ne plus savoir que faire de son corps, de ses membres et de ses idées. Il en vint à décider qu’il ferait une promenade ; d’abord, une promenade serait une nouveauté pour lui: car, depuis vingt ans, il avait fait des courses sans nombre à travers la ville, mais jamais ce qui peut s’appeler une promenade. Il savait très bien que la Loire passe au bout de la rue Royale ; seulement, il ne se souvenait pas de l’avoir jamais regardée, mais là ! ce qui s’appelle regarder ; il l’apercevait en passant, mais il ne s’était jamais accoudé sur le parapet pour contempler les îles plantées de saules, et le fleuve qui coule tout vert aux endroits profonds, tout clair aux endroits où l’on voit le sable, et les grandes herbes molles qui s’amusent à s’enrouler et à se dérouler au gré du courant.

Dans le parcours de la rue Royale, le philosophe ne se laissa point séduire aux magnificences des magasins. Les seuls étalages sur lesquels son œil gauche s’arrêtait un instant étaient ceux des marchands de joujoux. Les enfants aiment les joujoux ; il savait cela vaguement pour l’avoir entendu dire, et, s’il eût osé, il eût rempli ses poches de joujoux pour les offrir… il