Page:Maman J. Girardin.pdf/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au-dessous de lui, l’eau infatigable coulait toujours, pressée d’aller à la mer, en passant par Saumur.

Comment était-ce fait Saumur ? Et son neveu, quelle figure avait-il. maintenant que c’était un homme et un père de famille ? Et sa nièce par alliance, à quoi ressemblait-elle ? Un commis-voyageur qui avait passé par Saumur lui avait dit qu’elle était blonde et gentille, c’est tout ce qu’il savait d’elle. Et les marmots ? étaient-ils doux, rangés, obéissants ? ou bien, les laissait-on polissonner, les pieds nus, dans la poussière, comme ceux qu’il voyait tous les jours au passage de la diligence ?

À vrai dire, il n’eût tenu qu’à lui de savoir tout cela depuis longtemps ; son neveu et sa nièce bien des fois l’avaient invité à venir se reposer un peu chez eux, ils avaient tout particulièrement insisté à l’époque du baptême. Mais lui, comme beaucoup d’ondes célibataires qui ont mis de l’argent de côté pour leurs vieux jours, se défiait instinctivement de ses futurs héritiers, et il se tenait sur la défensive.

Les petites vagues du fleuve continuaient à se pousser l’une l’autre ; ainsi, par esprit d’imitation, les idées se poussaient l’une l’autre dans la tête du philosophe. comme il commençait à avoir la vue, fatiguée, il se releva et se remit à marcher. Tout en marchant, il se demandait avec surprise pourquoi il avait pensé à son neveu, qui cependant ne lui avait pas écrit depuis le baptême. Bien plus, il pensait à ce neveu, à cette nièce, à ces petits enfants, avec une bienveillance inaccoutumée ; et même, il regrettait d’avoir bougonné en envoyant le couvert d’argent et d’avoir écrit une lettre un peu sèche.

« Ça doit être l’effet de cette eau qui me tourne la cervelle, se dit-il en hâtant le pas. Mais il eut beau hâter le pas, ses idées ne voulurent pas rester en arrière, et lui tinrent fidèle compagnie jusque dans la campagne.

Quand il eut longtemps marché par les petits chemins, il revint vers le fleuve, le corps fatigué, mais l’esprit moins embrouillé ; il commençait à voir clair dans ses idées, et il avait pris tout à coup, dans un chemin creux, entre deux vignes, la résolution d’aller surprendre les Saumurois, et de savoir, une fois pour toutes, à quoi pouvaient bien ressembler les enfants de son neveu et particulièrement son filleul.