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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

IX

Des conséquences que l’on peut tirer de notre parenté avec Dieu[1].

« De quel pays es-tu ? » Ne réponds pas : « Je suis d’Athènes ou de Corinthe, » mais, comme Socrate, « Je suis du monde. » Pourquoi dirais-tu, en effet, que tu es d’Athènes, et non de ce petit coin seulement où ton misérable corps a été jeté quand il est né ? N’est-il pas clair que si tu t’appelles Athénien ou Corinthien, c’est que tu tires ton nom d’un milieu plus important, qui contient non-seulement ce petit coin et toute ta maison, mais encore cet espace plus large d’où est sortie toute ta famille, jusqu’à toi ? Pourquoi donc le philosophe qui comprend le gouvernement du monde, celui qui sait que de toutes les familles il n’en est point de plus grande, de plus importante, de plus étendue que celle qui se compose des êtres raisonnables et de Dieu, pourquoi celui-là ne dirait-il pas : « Je suis du monde ? » Pourquoi ne dirait-il pas : « Je suis fils de Dieu ? »

Et pourquoi craindrait-il rien de ce qui arrive parmi les hommes ? La parenté de César, ou de quelqu’un des puissants de Rome, suffit pour nous faire vivre en sûreté, pour nous préserver du mépris, pour nous affranchir de toute crainte ; et avoir Dieu pour auteur, pour père et pour protecteur, ne nous affranchirait pas de toute inquiétude et de toute appréhension ?

— « Mais de quoi vivrai-je, dit-on, moi qui n’ai rien ? » — Eh ! de quoi vivent les esclaves fugitifs ? Sur quoi comptent-ils, quand ils se sauvent de chez leurs maîtres ? Sur leur terres ? Sur leurs serviteurs ? Sur leur vaisselle d’argent ? Non, mais sur eux-mêmes ; et la nourriture ne leur manque pas. Faudra-t-il donc que le philosophe n’aille par le monde qu’en comptant et se reposant sur les autres ? Ne se chargera-t-il jamais du soin de lui-même ? Sera-t-il

  1. Dans cet extrait est traité, avec plus de développements, le même sujet que dans le chapitre V.