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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

Crois-tu donc, en effet, que l’un des deux pleurât ou s’emportât, parce qu’il ne devait plus voir un tel ou une telle, être à Athènes ou à Corinthe, mais, si le sort le voulait, à Suzes ou à Ecbatane ?

Celui qui peut, lorsqu’il le voudra, se retirer du festin et cesser de jouer, peut-il être triste pendant qu’il y reste ? Ne reste-t-il pas au jeu seulement le temps qu’il lui plaît ? C’est bien un homme tel que toi qui saurait supporter un exil éternel ou une condamnation à mort !

Ne veux-tu pas, comme les enfants, cesser enfin de téter, et prendre une nourriture plus forte, sans pleurer après le sein de tes nourrices et sans te lamenter comme une vieille femme ? Homme, renonce à tout, suivant le proverbe, pour être heureux, pour être libre, pour avoir l’âme grande. Porte haut la tête ; tu es délivré de la servitude. Ose lever les yeux vers Dieu, et lui dire : « Fais de moi désormais ce que tu voudras ; je me soumets à toi ; je t’appartiens. Je ne refuse rien de ce que tu jugeras convenable ; conduis-moi où il te plaira ; revêts-moi du costume que tu voudras. Veux-tu que je sois magistrat ou simple particulier ? Que je demeure ici ou que j’aille en exil ? Que je sois pauvre ou que je sois riche ? Je te justifierai de tout devant les hommes ; je leur montrerai ce qu’est en elle-même chacune de ces choses. »

Si Hercule fût demeuré dans sa maison, qu’aurait-il été ? Eurysthée, et non pas Hercule. Eh bien ! dans ses courses à travers le monde, combien n’a-t-il pas eu de compagnons et d’amis ! Mais jamais il n’a rien eu de plus cher que Dieu ; c’est par là qu’il s’est fait regarder comme fils de Jupiter ; c’est par là qu’il l’a été. C’est pour lui obéir, qu’il s’en est allé partout, redressant les iniquités et les injustices. Diras-tu que tu n’es pas Hercule, et que tu ne peux redresser les torts faits aux autres ? Que tu n’es pas même Thésée, pour redresser ceux qu’on fait à l’Attique ? Eh bien ! remets l’ordre chez toi : chasse de ton cœur, au lieu de Procuste et de Scyron, la tristesse, la crainte, la convoitise, l’envie, la malveillance, l’avarice, la mollesse, l’intempérance, Tu ne pourras les en chasser qu’en tournant tes regards vers Dieu seul, qu’en t’attachant à lui seul, qu’en te dévouant à l’exécution de ses commandements. Si tu ne veux pas le faire, tu suivras avec des larmes et des gémis-