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MANUEL D’ÉPICTÈTE.

XV

la vie comparée à un banquet.


Souviens-toi que tu dois te conduire dans la vie comme dans un banquet. Un plat qui fait le tour de la table vient-il à toi ? étendant la main, prends-le avec décence. Passe-t-il au delà ? ne le retiens point. Il ne vient pas encore ? N’étends pas au loin ton désir, mais attends que le plat arrive de ton côté. Uses-en ainsi avec des enfants, ainsi avec une femme, ainsi avec les dignités, ainsi avec les richesses, et tu seras un jour un convive digne des dieux[1]. Si même tu ne prends pas ce qu’on t’offre, mais le dédaignes, alors, non-seulement tu seras le convive des dieux, mais leur collègue[2].

  1. Cette comparaison de la vie à un banquet ne fait que mieux ressortir le défaut de la doctrine stoïcienne, qui confond les mets et les convives, la manière dont on doit se conduire à l’égard des plats, et celle dont on doit se conduire à l’égard des hommes.
  2. Sénèque va plus loin : « Le sage, dit-il, ne voit point les choses de ce monde avec moins d’indifférence et de dédain que Jupiter, et il se prise plus haut, parce que toutes ces choses Jupiter ne peut s’en servir, et lui, homme, ne le veut pas. » « Le sage ne diffère de Dieu que par la durée (tempore tantum). » « Supportez courageusement : c’est par là que vous surpassez Dieu. Dieu est placé hors de l’atteinte des maux ; vous, au-dessus d’eux. » « Il est un endroit par où le sage l’emporte sur Dieu ; c’est que Dieu doit sa sagesse à sa nature, non à lui-même. Quelle grande chose d’avoir, avec la faiblesse d’un homme, la sécurité d’un dieu ! » — Les anciens concevant Dieu comme une sorte de nature parfaite, de bien neutre (τὸ ἀγαθόν), Sénèque et Épictète n’avaient pas tort de soutenir la supériorité de la volonté humaine sur cette abstraction. La véritable bonté et la véritable sagesse, en Dieu comme dans l’homme même, est celle qui se fait librement : « ce qu’il y a dans la sagesse, dit Sénèque, de précieux et d’inestimable, c’est qu’elle n’est pas un don, c’est que chacun ne la doit qu’à lui seul, et qu’on n’a que faire de la demander à qui que ce soit. »