Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/11

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d’une fabrique de tulles et dentelles de Caudry…

Et Jacqueline ajoute, avec sa fierté intelligente de fille de grands commerçants :

— Le nom de Michel Bertin était connu, dans le Sentier !

— Ah !… Le Sentier, répète Hans, du ton averti de quelqu’un qui veut paraître au courant d’une expression qui lui échappe. Il reprend :

— Ainsi, vous vivez avec votre aïeul, votre père et votre frère…

Jacqueline est légèrement interloquée par cette manière d’interrogatoire et la façon posée, méthodique, dont Schwartzmann mène sa petite enquête. En quoi cela peut-il intéresser Hans de savoir ce que faisait le grand-père de son ami ? Jacqueline réfléchit.

La diversité des esprits la surprend toujours. Les cervelles humaines sont toutes composées de la même substance ; et, cependant, toutes contiennent un produit différent. On a déjà beaucoup de peine à s’assimiler l’âme d’un voisin de palier : qu’est-ce, lorsqu’il s’agit d’un voisin de frontière…

— Oh ! Madame la Comtesse, mais le marabout fait fureur en ce moment ! Vous ne pourrez pas trouver de garnitures plus chic !

Aimé Bertin s’est rapproché de Jacqueline. Il s’évertue à persuader une cliente rétive ; dans son animation papillonnante, il va se jeter contre Schwartzmann, qui reçoit en pleine figure la caresse chatouillante du boa de plumes et de marabout que le modiste tient à bout de bras. M. Bertin s’excuse :

— Mille pardons, Monsieur.

Puis, il dévisage ce client qui dérange sa fille depuis si longtemps. Jacqueline saisit l’occasion propice :

— Papa… une minute, s’il te plaît. Je te présente un ancien ami de René : M. Hans Schwartzmann, le célèbre écrivain qu’il a connu à Heidelberg… Tu te souviens ? — Oui, oui.

Pressé, débordé, Aimé Bertin adresse à Hans un sourire indifférent et questionne très vite :

— Vous êtes à Paris pour quelque temps, Monsieur ?

— Oui… je compte y rester… assez…

— Il faudra venir nous voir : ma maison vous est ouverte et je suis ravi de faire votre connaissance. Vous m’excusez : je suis forcé de vous quitter… On me réclame de tous côtés.

M. Bertin lui donne une poignée de main rapide ; puis, se précipite vers une dame qui trépigne au milieu du magasin. Après l’avoir suivi des yeux, Schwartzmann se retourne vers Jacqueline :

— Voulez-vous avoir l’obligeance de me noter l’adresse de votre frère, Mademoiselle ? Je commencerai par aller visiter René demain, à son atelier… Je suis curieux de son atelier.

Jacqueline griffonne rapidement une ligne sur la carte d’Aimé Bertin. Schwartzmann la remercie ; prend congé, d’un salut cérémonieux : les bras écartés, le corps ployé, les talons joints, et sort avec sa démarche automatique ; tandis que la jeune fille revient lentement au fond du salon où l’on entend M. Bertin crier d’une voix impatiente :

— Mademoiselle Héloïse !… Apportez-moi la toque de velours mauve, voyons !




II


Les trois Allemands s’engagèrent sous la voûte d’une belle maison neuve dont la façade blanche se dressait devant le jardin du Luxembourg. Hans Schwartzmann avait emmené ses amis Fischer : Hermann, un gros jeune homme d’une