Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/35

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les relations de son père : des industriels, des banquiers, des joailliers, qui trouvaient Mlle Bertin poseuse parce qu’elle était trop lettrée pour eux.

Pouvait-elle rester insensible lorsque le premier homme qui semblât s’éprendre d’elle était précisément un illustre écrivain dont elle avait dévoré toutes les productions ? Qu’importait son origine : n’était-il point un être d’exception ? Jacqueline eût estimé stupide d’assimiler cet homme intelligent et affiné à Hermann et à Caroline Fischer… Ah ! ceux-là, par exemple, elle était enchantée de les décréter insupportables, balourds, déplaisants, choquants d’incompréhension, étrangers en un mot ; ainsi Jacqueline parvenait-elle à concilier son opinion passée avec son inclination présente, sans avoir l’air de se contredire.

— Où sommes-nous ? questionnait subitement Hans en se penchant vers la portière. Qu’est-ce que ces vilaines rues sales ?

— Je ne sais pas… Ce doit être Sèvres.

— Où se trouve la manufacture… À quel endroit ?

— Ma foi, je l’ignore.

Hans considérait d’un air dégoûté les bicoques grises qui prenaient un aspect désolé sous le ciel pluvieux, le chemin raboteux où l’automobile rebondissait avec des cahots inquiétants.

Il déclara ingénument :

— On m’avait tant vanté les environs de Paris… Ils sont vraiment laids.

Pour comble de chance, ils étaient tombés sur un chauffeur novice qui ne connaissait pas sa route et qui, dès qu’ils furent entrés dans Versailles, se dirigea au petit bonheur en faisant halte tous les dix mètres, pour chercher sa direction. Schwartzmann s’impatientait, agacé par ce wattmann qui errait selon son caprice, oubliant de prendre sa droite, exécutant de brusques virages, dans le désordre de son ignorance. Et Hans regardait Jacqueline, étonné qu’elle ne songeât point à indiquer son chemin au chauffeur. À la fin, il interrogea :

— Cette chose, là-bas, au bout de cette grande avenue… N’est-ce pas le château ?

— Peut-être bien.

— Comment : vous ne le reconnaissez pas ?

— Dame ! C’est la première fois que je viens à Versailles, riposta tranquillement Jacqueline.

L’Allemand restait béant de surprise. Jacqueline dit en riant :

— Je n’ai jamais visité tant de monuments, de musées et de palais que depuis que je vous accompagne dans vos sorties… Il n’y a pas plus indifférente à ses richesses historiques qu’une vraie Parisienne : nous n’affichons pas notre culte des souvenirs à la manière des parvenus, qui achètent leurs portraits d’ancêtres.

Hans s’exclamait avec stupeur :

— Vous n’avez jamais vu le château de Versailles !… Versailles où fut couronné l’Empereur…

— L’empereur !… Quel empereur ?… Napoléon ?

Jacqueline, brusquement froissée par cette gaffe brutale, avait la présence d’esprit de feindre ironiquement d’avoir oublié les ennuyeuses leçons du couvent. Ses grands yeux gris se posèrent sur Schwartzmann avec une telle candeur que l’écrivain, dupe de la supercherie, pensa que la jeune fille possédait plus de culture littéraire que d’instruction réelle.

Jacqueline songea : « Il y a cinq minutes, je m’extasiais sur la perfection de sa parole et, pourtant, c’est cette