Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/62

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mais d’utilité : jusqu’à présent, les Allemands, admirablement documentés sur la France en général, sa situation, sa politique, ses erreurs et sa faiblesse, ignoraient encore ce qu’est réellement une vraie famille française dans sa vie privée ; — trompés par les tableaux inexacts, exagérés ou satiriques, qu’en ont pu tracer quelques auteurs.

Se défendant de parti-pris ou d’idées préconçues, le héros de Hans se proposait de combler cette lacune.

Et il contait son arrivée à Paris, — non sans talent, avec un style pur et coloré qui animait le récit d’un charme attachant. Une rencontre de hasard le plaçait en face d’un jeune Français connu jadis en Allemagne ; ici, l’auteur ouvrait une parenthèse : qu’on ne parle plus du patriotisme des voisins ; en France, le peuple seul affiche une certaine haine des étrangers, parce qu’il aime à insulter tout le monde et que son chauvinisme est un moyen d’injurier les passants inoffensifs ; quant à la classe bourgeoise, indolente et cupide, elle accueille quiconque lui semble propre à servir ses intérêts.

Ainsi l’Allemand décrivait-il la réception chaleureuse de son ami français qui l’attirait insidieusement à son foyer, — ayant une petite sœur à marier et sachant l’écrivain fort riche.

Et René, atterré, voyait défiler sous ses yeux chaque scène du voyage de Schwartzmann, comme déformée par l’illusion grotesque d’un miroir concave.

C’était d’abord la présentation de la famille Bertin : le grand-père imbécile et grossier ; le père efféminé au point d’exercer un métier de femme ; la fille intrigante et provocante ; le frère artificieux, assez cynique pour favoriser des relations clandestines entre sa sœur et sa maîtresse — on ne sait par quel caprice de dépravé.

Des observations déconcertantes émaillaient tous les chapitres : les Parisiennes, dont le goût est si renommé, font preuve d’une étrange coquetterie : quand elles ont les cheveux épais, elles s’en coupent la moitié. — Les femmes lisent plus que les hommes (le héros de Hans a rencontré deux Français assez ignares pour ne point connaître son nom) ; elles sont très romanesques et s’éprennent toutes de lui, parce qu’il est écrivain. — Mais leur instruction est superficielle, car elles ne possèdent aucune notion d’histoire : elles ignorent qu’un empereur d’Allemagne fut couronné à Versailles.

Puis, c’était le récit de la promenade à Buc. Hans négligeait de s’y dépeindre défendu contre des voyous par son ami français. Mais il s’attardait complaisamment à analyser l’inconscience et l’égoïsme de deux jeunes gens légers qui continuaient de s’occuper de leurs affaires personnelles et restaient très indifférents à cette manifestation du progrès. Il moralisait copieusement, d’ailleurs, sur cette question : notant que les journaux se plaisent à constater que, le dimanche, les spectacles d’aviation font concurrence aux courses d’Auteuil ou de Longchamp : le pesage est déserté pour l’Aérodrome. Ainsi, les Parisiens s’intéressent aux aviateurs de même qu’aux chevaux de courses : leur esprit futile se divertit à un nouveau jeu — sans plus. Et Hans se demandait ironiquement si l’on instituerait un jour un Pari Mutuel pour aéroplanes, où les prix de vol plané et de looping remplaceraient ceux de steeple-chase ou de handicap.

Il insistait sur le sadisme particulier