Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la recherche d’une marmotte de taffetas ornée d’une petite corne, qui aurait l’air de se nouer sans prétention sur l’oreille ou sur le front, avec la négligence du mouchoir de soie que les Italiennes s’attachent autour de la tête… Rosie Carlys m’a demandé une coiffure très jeune pour l’ingénue qu’elle va créer au Gymnase. Que penses-tu de cette marmotte, papa ?

Le vieillard répondit par une autre question :

— N’as-tu pas remarqué la physionomie bizarre de Jacqueline ?… Depuis deux jours, elle est sombre et taciturne.

— Mais non.

Du geste dont il écarta la spirale de fumée qui s’échappait de ses lèvres, Aimé Bertin sembla chasser toutes les préoccupations ennuyeuses de son existence. Il était optimiste par tempérament et, surtout, par principe : c’était un de ces hommes qui crient : « Tout va bien ! » jusqu’à la dernière extrémité — espérant ainsi éloigner les soucis ; — et se persuadant aisément que le bruit n’existe plus dès qu’ils se bouchent les oreilles. C’est la philosophie de l’autruche.

Michel Bertin insista :

— Je te dis qu’elle a quelque chose, là… Je connais ta fille, moi.

Le modiste insinua :

— Bah ! Un tracas sans importance comme s’en forgent ces jeunes cervelles… Ou bien, le départ de son frère… Jacqueline s’entend si bien avec René : elle doit se morfondre d’être séparée de lui pour plusieurs semaines.

— Ce n’est pas cela, je le sens.

Aimé Bertin affecta de se désintéresser de l’entretien ; il n’aimait pas les conversations qui roulent sur le ménage ou sur les enfants, car il est rare qu’elles ne dégénèrent point en discussion. Il reprit son album et termina le chapeau d’un crayon distrait ; puis, sous le chapeau, il s’amusa à dessiner les zigzags d’une chevelure ondulée au-dessus d’un front droit. Et il s’écria, enchanté de son œuvre : Oh ! ça… C’est un peu fort : je viens d’ « attraper » Rosie Carlys, de mémoire !

Il montrait à son père le croquis de sa cliente, mais le vieillard le repoussa d’un geste agacé. Alors, Aimé Bertin bougonna ironiquement :

— Ah ! Flûte… Je ne parle pourtant pas de Hans Schwartzmann !

Le grand-père déclara :

— Tu ferais mieux de t’occuper de ta fille. Jacqueline paraît mal à son aise ; il y a deux jours qu’elle ne nous adresse plus la parole ; quand on la questionne, elle murmure des réponses inintelligibles ou lance un sec monosyllabe. Le soir, au lieu de rester au salon avec nous, comme d’habitude, elle se cloître dans sa chambre, sitôt le dîner terminé.

— Eh bien. ! C’est un peu de mauvaise humeur… Elle a ses nerfs. N’ayons pas l’air de nous en apercevoir : ça passera tout seul. Que diable ! Laissons-la tranquille, cette petite !

La sollicitude égoïste d’Aimé Bertin consistait à réclamer la paix pour les autres, afin d’assurer sa quiétude personnelle. Tant que ses enfants n’agissaient point de manière à lui causer quelque préjudice, il les abandonnait à eux-mêmes au nom de la liberté.

Soudain, le modiste tressaillit : les cheveux dénoués, enveloppée d’un peignoir mal agrafé qui laissait voir sa chemise de nuit, Jacqueline entrait, traversait rapidement le salon et s’arrêtait devant une console, farfouillant parmi les brochures qui s’y trouvaient posées.

Aimé Bertin regarda son père d’un air anxieux. En effet, le vieillard profi-