Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/17

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francs, en temps de paix. Elle touchait en réalité vingt-deux mille francs ; mais depuis quarante ans ses biens-fonds sont grevés d’une hypothèque au profit de feu Thoyer, votre père, qui prêta deux cent mille francs à mon grand-père maternel. Depuis l’année 1877, les intérêts trimestriels de cet emprunt ont été exactement payés à l’étude jusqu’à la date du 15 octobre 1914. Ma mère dépensait entièrement ses modiques revenus dont une grande partie était absorbée par les frais d’éducation de mon frère. Il lui était impossible d’avoir quelque somme d’argent en réserve ; la guerre l’a privée brutalement de ses revenus : ses locataires ne payent plus ; ses fermiers sont mobilisés. La première année, elle a vendu à vil prix ses bijoux de famille, pour vivre. La seconde année, elle a dû accepter les offres de nos parents, de notre entourage, où les moins éprouvés mettaient à sa disposition les ressources dont ils disposaient : mon frère avait été grièvement blessé ; nous avons fait un voyage onéreux pour aller le soigner. Cette année, nous avons épuisé tous les expédients. Ma mère s’est résignée à me laisser travailler ; je suis entrée comme caissière chez Litynski, le tailleur de la rue Tronchet… Et mes émoluments, avec la solde de mon frère, qui est aspirant, servent à nous faire vivre — ou plutôt, à nous empêcher de mourir de faim… Ma mère n’a donc pu matériellement acquitter annuellement dix mille francs d’intérêts hypothécaires : je vous fais encore remarquer que c’est la première fois, depuis quarante ans, que les d’Hersac se montrent inexacts à verser cet intérêt ; et que nous avons cette excuse, ce cas de force majeure : la guerre. Le moratorium, qui couvre la dette des