Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/20

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qui la guerre prend son fils et ne laisse qu’une fille de dix-huit ans pour la défendre contre l’injustice, le favoritisme et la perfidie, le trouvait très indifférent. Il ne songeait qu’au moyen de découvrir quelques ressources à sa débitrice afin d’y planter son harpon de créancier.

Laurence d’Hersac ne lui inspirait aucune sympathie : mais cette frêle adversaire au regard plein de franchise lui semblait susceptible de se laisser prendre au piège.

Il questionna insidieusement :

— Et vos propriétés des Basses-Pyrénées ?… Le Midi est riche. Il n’a pas souffert de la guerre.

Laurence répondit simplement ;

— Le Béarn est très pauvre en agriculture. Nous y possédons quelques fermes d’un rapport dérisoire ; nos cultivateurs sont aux armées ; les femmes en profitent pour crier misère. Néanmoins, de ce côté, par persuasion, on aurait pu obtenir quelques preuves de bonne volonté de la part de nos fermières. Mais ma mère et moi manquons d’autorité sur ces paysans. Il aurait fallu que mon frère pût s’en occuper.

— Eh bien ! Pourquoi votre frère ne s’en est-il pas occupé ? interrompit étourdiment l’homme d’affaires.

Laurence répliqua, avec une ironie voilée d’amertume :

— François s’est fait trouer la poitrine devant Verdun, en entraînant ses hommes hors d’une tranchée… On ne peut pas tout faire à la fois.

Me  Thoyer demeura froid. Il se contenta de demander :

— Quel âge a-t-il ?

— Vingt-deux ans.

— Que faisait-il dans la vie civile ?