Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/26

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fameux. Ce matin, temps radieux ; les réglages se précipitent ; on sent que le secteur s’agite. Quelques obus à gaz tombés près de notre cave nous avaient forcés à mettre nos masques une partie de la nuit. Trois morts, cinq blessés, depuis hier : c’est peu relativement ; mais c’est triste cette guerre… Trois ans que nous la faisons, sans autre arrêt que la mort pour ceux de nous qui sont malchanceux !… Ne montre pas cette lettre à maman, petite Laurence chérie ; ma seule consolation est de la savoir tranquille. Vous êtes en sécurité toutes les deux ; je reprends courage à me battre pour cela — pour votre repos, pour notre bonheur futur…

» Bons baisers,
François D’Hersac. »

« P.-S. — Depuis quelques jours, nous avons, dans le voisinage, les premiers soldats américains. Quels types ! Ils sont admirables, ils ont dressé leurs camps, comme Buffalo son cirque : en deux heures ! Je t’écrirai plus longuement demain. »

Laurence, toute remuée, lisait cette lettre de son frère, assise à sa caisse, chez Litynski. Autour d’elle, dans le magasin fermé aux clients, c’était le brouhaha de l’inventaire d’été en prévision des soldes.

Le tailleur ordonnait, de sa voix chantante de Slave :

— Nous collationnerons… puis, vous additionnerez.

La jeune fille, l’âme absente, travaillait machinalement ; un peu étourdie par les voix qui se haussaient pour annoncer les marchandises, par la gesticulation des bras des commis vidant les armoires, les cases, jetant sur le tapis