Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/35

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en ce moment, comme elle en exagérait hier la noirceur.

À présent, l’auto, quittant les allées connues des snobs, file à travers bois, prend au plus court par des sentiers si étroits que ses roues écrasent de chaque côté les herbes folles en bordure. L’été finissant verdoie encore, allumant quelques lueurs d’émeraude parmi les arbres ensoleillés. Les premières rouilles d’automne ne sont qu’une tache d’or neuf à la pointe des feuilles. De temps en temps, les rangées effilées de longs bouleaux fragiles s’espacent ; et c’est une clairière où fuit, en bonds prestes, l’ombre fauve d’un chevreuil. L’odeur pénétrante de l’herbe se mêle à la tiédeur de l’air.

Laurence est oppressée d’angoisse : il lui semble que la vie ardente de l’été forestier insulte à sa douleur.

Changement de décor. L’auto roule comme une trombe à travers un dédale de rues noires, mal pavées : elle traverse Sèvres ; son bruit caverneux donne à Laurence l’impression d’avancer au milieu d’une tempête dans des grondements d’orage. Des bouffées d’air vif lui cinglent le visage, lui coupant la respiration.

Versailles.

— Nom d’un chien ! jure le chauffeur.

Versailles, la Versailles de 1917 n’est plus qu’un vaste dépôt de guerre gardé par des sentinelles vigilantes. Des centaines d’autos et de fourgons militaires s’alignent sur ses longues avenues ; et, partout, de grands écriteaux s’élèvent : Allez au pas !

Allez au pas, afin qu’au passage les factionnaires échelonnés vous contrôlent d’un regard soupçonneux.