Page:Marais - Le Mariage de l adolescent.pdf/20

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désespérance se trouve au bout de la route parcourue. Quand on a bûché comme un forcené, appris patiemment son métier, possédé enfin cette admirable langue française, on constate que rien ne sert, si on a la fierté d’arriver seulement par son travail sans intrigue malpropre. Et lorsque enfin, à force d’années alignées les unes auprès des autres, comme les grains d’un triste chapelet, on connaît néanmoins une certaine notoriété : quelle déception sur la récompense escomptée ! Ceux qui vous apprécient n’ont que du fiel à répandre sur vous ; ceux qui vous aiment sont incapables de vous comprendre. Jean Lorrain me répétait un jour un mot qu’il avait entendu dire à Daudet : « La gloire est un bon cigare que l’artiste fume du côté de la cendre : il ne lui reste qu’un goût âcre dans la bouche. » À ce moment-là, mes seize ans naïfs restaient sceptiques devant ce désenchantement de l’homme arrivé qui regrettait sa jeunesse. Aujourd’hui je comprends que ce n’était pas du « chiqué ». Ah ! dire que j’ai perdu quinze ans de jeunesse avant de m’apercevoir que, seule, la jeunesse compte dans une vie de femme. Oui, vous avez compris, en