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J.-P. MARAT

est encore dégagé de presque toutes les figures de la rhétorique ; vains ornemens que prodigue l’écrivain médiocre et dont les grands écrivains sont avares. Montesquieu le premier trouve le secret d’être plein de feu sans leurs secours, mais de ce feu qui vient du sentiment ; j’ajouterai de la réflexion et de l’imagination, car sous sa plume, chaque expression fait image, et c’est bien pour lui que le talent d’écrire est celui de peindre la pensée.

Demandés à nos beaux esprits une définition de la galanterie ; ils vont vous innonder d’un déluge de vaines paroles ; mais Montesquieu vous dira en deux mots[1] : « Ce n’est point l’amour, mais le délicat, mais le léger, mais le perpétuel mensonge de l’amour. »

Au talent difficile de bien peindre les choses, il joignoit le talent plus difficile de bien peindre les hommes, ou plutôt personne ne les posséda comme lui. Pour frapper un caractère, souvent il n’employe qu’un trait, et ce trait dit tout. Voyez les portraits d’Annibal et Mitridate[2], ceux de César et de Pompée[3], ceux de Cicéron et de Caton[4], ceux de Trajan et de Caracalla[5], ceux de Charles-Magne et de Louis le Débonnaire[6] : quelle vérité ! quelle vie !

Oui, tant que le génie aura des admirateurs parmi nous, ils passeront pour des modèles achevés.

Mais il savoit peindre les peuples comme les individus. Et qui jamais réussit mieux à tracer dans un petit cadre les grandes scènes du monde politique ?

Quand il parle de la législation de Sparte, avec quelle

  1. Esprit des Loix, liv. 28, chap. XXII.
  2. Considérations sur la Grandeur, etc., chap. V et VII.
  3. Considérations sur la Grandeur, etc., chap. XI.
  4. Considérations sur la Grandeur, etc., chap. XII.
  5. Considérations sur la Grandeur, etc., chap. XV et XVI.
  6. Esprit des Loix, liv. 31, chap. XVIII et XX.