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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

rapidité il en dévoile tout le sistême[1]. « Lycurgue mêlant le larcin avec l’esprit de justice, le plus dur esclavage avec l’extrême liberté, les sentimens les plus atroces avec la plus grande modération ; donnoit de la stabilité à sa Ville. Il sembla lui ôter toutes les ressources, les arts, le commerce, l’argent, ses murailles : on y a de l’ambition, sans espérance d’être mieux ; on y a les sentimens naturels, et on n’y est ni enfant, ni mari, ni père ; la pudeur même est ôtée à la chasteté. C’est par ces chemins que Sparte est conduite à la grandeur et à la gloire. »

Quand il parle des funestes suites de l’esprit de conquête des Romains, quel tableau[2] ! « C’est ici qu’il faut se donner le spectacle des choses humaines. Qu’on voye dans l’histoire de Rome, tant de guerres entreprises, tant de sang répandu, tant de peuples détruits, tant de grandes actions, tant de triomphes, tant de politique, de sagesse, de prudence, de constance, de courage ; ce projet d’envahir tout, si bien formé, si bien soutenu, si bien fini ; à quoi aboutit-il, qu’à assouvir le bonheur de cinq ou six monstres ? Quoi ! ce Sénat n’avoit fait évanouir tant de rois, que pour tomber lui-même dans le plus bas esclavage de quelques-uns de ses plus indignes citoyens, et s’exterminer par ses propres arrêts ? On n’élève donc la puissance que pour la voir mieux renverser ? Les hommes ne travaillent à augmenter leur pouvoir, que pour le voir tomber contre eux-mêmes dans de plus heureuses mains ? »

Avec un talent aussi rare, on conçoit bien qu’il eût fait un admirable historien, et dans ce genre encore, il n’eût point eu de rivaux, il eût effacé Tacite même. Ici, Messieurs, quels regrets viennent suspendre le cours de nos réflexions : Montesquieu a manié les pinceaux de l’histoire ;

  1. Esprit des Loix, liv. 4, chap. VI.
  2. Grandeur des Romains, etc., chap. XV.