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J.-P. MARAT

il a peint l’âme de Louis XI, sa sombre politique, ses noirs attentats et les grands événemens d’un règne auquel ce monarque eut personnellement tant de part. Annales intéressantes, où la vérité puisée à sa source se montroit toute entière. Que d’observations utiles, que de sages leçons, que de beautés en tous genres ornoient et enrichissoient ce tableau ! Elles sont perdues pour toujours ; le feu a détruit ce précieux monument.

Enfin, Messieurs, car je ne dois rien omettre de ce qui caractérise cet illustre écrivain, Montesquieu avoit infiniment de gayeté dans l’esprit, principe fécond de ces traits innattendus par lesquels il échappe toujours au lecteur.

Je n’en citeroi qu’un seul. En relevant les abus de la juridiction ecclésiastique il dit[1] : « On ne pouvoit pas coucher ensemble la première nuit des Noces, ni même les deux suivantes, sans en avoir acheté la permission. » Puis il ajoute : « C’étoit bien ces trois nuits-là qu’il falloit choisir ; car pour les autres on n’auroit pas donné beaucoup d’argent. » Qui s’attendoit à cette réflexion ?

La gayeté de l’auteur avoit moins sa source dans un heureux tempéramment que dans ce coup d’œil rapide qui pénètre les cœurs et en éclaire les replis les plus cachés ; dans ce coup d’œil ferme qui embrasse à la fois une multitude de rapports, toujours si nécessaires pour apprécier les choses à leur juste valeur ; fixer sans être ébloui le faux éclat de la pompe, du faste, de la puissance ; juger les hommes et faire ressortir leurs vices, leurs déffauts, leurs ridicules. Il eût été caustique, si un sage pouvoit l’être : mais s’il connoissoit les imperfections de l’humaine nature, il connoissoit aussi la fragilité. Censeur indulgent, chez lui la satyre amère se tourne en douce ironie. Bientôt armée de mille traits, elle perce dans ces écrits pour ins-

  1. Esprit des Loix, liv. 28, chap. XXXXI.