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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

S’il faisoit les délices des sociétés, il ne s’y amusoit pas toujours. Assez souvent l’ennui le replioit sur lui-même ; mais les fréquentes distractions auxquelles il étoit sujet, le rendoient plus aimable encore. Il en sortoit toujours par quelque saillie obligeante pour ceux qui l’entouroient.

Que vous dirai-je, Messieurs ? On ne lui connut aucun déffaut, et, ce qui couronne son éloge, personne ne désira jamais de lui en trouver.

Me sera-t-il permis de placer ici la règle à côté du mérite ? Car si Montesquieu doit être jugé avec justice, il doit l’être aussi avec rigueur.

Il étoit de ce petit nombre d’heureux chez qui l’éducation et la fortune favorisent de concert le développement des facultés de l’âme. Comme tant d’hommes de lettres, il ne fut point réduit à travailler pour vivre, à extraire les ouvrages des autres, et à copier ses propres ouvrages ; c’est-à-dire à perdre en occupations mécaniques plus de la moitié de ses jours, et à consacrer aux efforts du génie un esprit épuisé de fatigues et accablé de dégoûts.

Maître de son choix, il put embrasser le genre pour lequel il avoit le plus d’aptitude, sans jamais faire violence à son goût. Maître de son temps, il put l’employer tout entier à méditer sa matière, à composer ses ouvrages et à soigner ses écrits, donnant tour à tour, à chacune de ces occupations, les momens où il étoit le plus dispos.

Ainsi, employant les talens à son gré, et ayant à ses ordres tous les secours qu’exige leur culture, si le point de perfection littéraire où il s’est élevé est très haut, c’est aussi le plus haut qu’il pût atteindre.

Les avantages qu’il avoit pour se distinguer par ses talens, il les avoit pour se distinguer par ses vertus. Avec des biens même au-dessus de ses désirs, son âme n’étoit point aigrie par la considération des injustes partages du sort ou le vice des indignes choix de la faveur.