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J.-P. MARAT

en fixe l’action et la réaction ; avec quelle sagacité il en calcule l’inflüence réciproque, et avec quelle prudence il les étend, les restreint, les modifie pour en faire résulter un tout harmonique.

Non, jamais les ressorts du monde politique ne furent maniés avec autant d’habileté, et jamais ceux du monde moral ne furent dirigés avec tant de sagesse.

Maîtrisant à son gré les principes qui déterminent les hommes au bien ou au mal, il mesure leur degré de force, il les oppose les uns aux autres. L’intérêt personnel, la soif de l’or, l’amour de l’indépendance, l’audace, la licence, sont réprimés par l’amour de la patrie, l’honneur, la vertu ; il enchaîne les passions par les passions mêmes.

De leur combat naît l’équilibre, de cet équilibre résulte l’ordre, et de l’ordre faisant sortir la liberté, la paix et le bonheur, il trace à ceux qui commandent la route qu’ils doivent tenir pour rendre leurs peuples heureux.

Ainsi, après avoir été observateur, philosophe et peintre dans ses autres ouvrages, il devint législateur des nations dans l’Esprit des Loix, et mérita de la sorte le plus beau titre dont un sage puisse être décoré.

L’érudition répandue dans l’Esprit des Loix est immense : mais l’emploi judicieux qu’en a fait l’auteur contribue toujours à l’agrément de l’ouvrage sans jamais déroger à la majesté du sujet. Attentif à ne présenter que les faits les moins connus, les plus singuliers, les plus piquans, il a soin encore, pour fixer son lecteur, de les accompagner de réflexions aussi fines qu’agréables ; souvent même il s’attache à lui ménager des momens de repos, ou à le réveiller par ces traits énergiques, ces allusions délicattes, ces images brillantes qui caractérisent la touche des grands maîtres.

À peine l’Esprit des Loix eut-il vu le jour, qu’il excita la plus vive curiosité, et quoiqu’il ne fut destiné qu’au petit