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J.-P. MARAT

cules, qui auroient suffi à la gloire d’un autre. Tels sont :

Lisimaque, morceau précieux, où, tout en donnant d’importantes leçons aux princes qui oublient ce que les fit la nature, et ce que les peuples ont fait pour eux, il peint la vanité et la fureur d’Alexandre, la grandeur d’âme de Calisthène, et le beau naturel de Lisimaque ; Lisimaque, portrait d’un bon roy, père de son peuple, et chéri de ses enfans.

Le dialogue de Scylla, où il dévoile les replis les plus cachés de l’âme de cet homme extraordinaire, qui confondit la tyrannie, l’anarchie et la liberté, dont toutes les actions furent marquées au coin de la singularité, et pour qui la vie n’eut de prix qu’autant qu’il put se donner en spectacle à l’univers.

Enfin l’Essay sur le Goût, où il dévoile en maître les facultés de l’âme, analyse les opérations de l’esprit, et va chercher la source du beau et de l’agréable dans les différentes causes du plaisir. Quoique cet opuscule ne soit qu’une esquisse, on y voit partout un métaphysicien profond, un littérateur distingué, un amateur judicieux de la belle antiquité, et un juge exquis des beaux-arts.

Nous avons vu l’observateur, le littérateur, le métaphysicien, le phylosophe, le législateur ; reste à examiner l’écrivain.

Quelques auteurs peuvent avoir eu un aussi riche fond de connoissances ; mais aucun n’eut des connoissances aussi variées ou aussi bien assorties, et aucun ne sut mieux en tirer parti. Il semble que la nature ait pris plaisir à réunir en lui les qualités qu’elle n’accorde que séparément aux autres hommes : sensibilité, imagination, jugement, goût, esprit, génie ; les qualités mêmes qui paroissent s’exclure : l’ingénuité et la finesse, la légèreté et la profondeur, la suavité et l’énergie.

Chacune brille tour à tour dans ses écrits. Celle dont ils