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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

tirent principalement leur caractère se reconnoît sans effort ; mais elles forment toutes une si heureuse harmonie, et elles se prêtent mutuellement tant de relief, que s’il falloit en sacrifier une seule, on seroit d’abord assez embarrassé du choix.

Montesquieu ne s’essaya point dans des différens genres. Il se borna à un seul : c’est toujours de l’homme dont il est question dans ses ouvrages. On s’attendroit à y trouver de la monotonie ; mais quelle variété de caractère il a su leur donner ! Il lui suffit de considérer le même sujet sous un différent point de vuë pour offrir un ouvrage nouveau. En les parcourant, le lecteur passe de surprise en surprise, dans tous il subjugue les esprits par l’admiration ; dans tous il maîtrise les cœurs par le plaisir. Et tel est l’attrait qui captive l’âme, qu’après avoir ouvert le livre on ne peut plus le quitter : on ne le lit point, on le dévore ; l’a-t-on fini, on voudroit le recommencer. Cet attrait si puissant vient surtout de ce que l’auteur avoit profondément médité sa matière.

Les ouvrages sont si forts de choses, qu’une analyse suivie de chacun deviendroit plus volumineuse que l’ouvrage même ; tant étoit féconde la source de ses idées, qu’elles y sont presque toujours jettées en masse. Aussi au Temple de Gnide près, et à la partie fictive des Lettres Persanes, ces ouvrages ne sont pas des livres à lire, mais des livres à étudier.

Chez lui, l’imagination avoit beaucoup de feu ; mais elle fut toujours subordonnée au jugement.

Deux fois elle prit l’essor, et fut se produire sur différens caractères. Vive et enjouée dans les Lettres Persanes, elle est douce et riante dans le Temple de Gnide.

Toujours noble, toujours décente, toujours chaste, lors même que le sujet permet le plus de liberté, elle se contente de soulever un coin du voile pour faire entrevoir