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J.-P. MARAT

D’autres fois il lui suffit de l’expression la plus simple pour réveiller une foule d’idées piquantes, conserver un air de naïveté, et avoir un charme indicible désigné par le je ne sais quoi.

Pour prouver qu’il ne faut point faire de changement dans une loi sans raison suffisante, il cite[1] Justinien, « qui ordonna qu’un mari pourroit être répudié, sans que la femme perdît sa dot, si pendant deux ans il n’avoit pu consommer le mariage. » Puis il ajoute : « Il changea sa loi et donna trois ans au pauvre malheureux. Mais dans un pareil cas, deux ans en valoient trois, et trois n’en valoient que deux. »

Dans les bras des deux hommes divins, Zulema, succombant à ses transports, demande grâce à l’amour : « Après plusieurs commandemens réitérés, elle fut obéïe ; mais elle ne le fut que lorsqu’elle voulut l’être bien sérieusement[2]. »

Chez lui, le goût ne se borne pas à quelques objets particuliers ; il s’étend à tout, parce que tout en est susceptible.

Sachant que la vérité nuë ne plaît qu’aux sages, et que pour plaire à la multitude elle a besoin d’être voilée, souvent même d’être cachée sous des fleurs, il commence par adoucir la force de ses traits pour la rendre plus touchante, puis il l’accompagne des grâces de l’esprit pour achever de subjuguer les cœurs.

Ainsi, embélissant la raison pour lui donner plus d’empire, il veut qu’un ouvrage destiné à l’instruction soit agréable, et partout il a soin de racheter la sécheresse de la matière par l’attrait des ornemens.

Je ne puis me refuser au plaisir de faire connoître, par quelques exemples, sa manière enchanteresse. Avant de

  1. Esprit des Loix, liv. 29, chap. XVI.
  2. Lettre 141.