Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faut des lumières et des vertus. Sans elles, il passe rapidement de la servitude à l’anarchie, de l’anarchie à la licence, de la licence à l’oppression, et de l’oppression à la servitude : cercle inévitable que nous venons de parcourir. Ainsi, après quelques mois écoulés dans les transes de la disette, et le délire d’un faux triomphe, nous voilà enfin remis aux fers par les mains mêmes que nous avions choisies pour assurer notre indépendance.

Prétendre que les mandataires du peuple, les ministres de la justice, les administrateurs publics ne soient que des représentants incorruptibles, des juges intègres, des agents fidèles, les gardiens des lois, les défenseurs des citoyens, c’est vouloir que les hommes renoncent à leurs préjugés et à leurs passions ; qu’ils renoncent à l’amour du pouvoir, des honneurs, des richesses, à l’amour des voluptés et des vanités mondaines ; c’est vouloir que des âmes sans élévation, des cœurs de boue sacrifient tout à la vertu. Ne sortons pas de la nature : il ne faut rien attendre de beau des dépositaires de l’autorité, il faut les clouer à leurs devoirs ; il ne faut pas exiger qu’ils soient bons, il faut les empêcher d’être méchants : il faut donc les surveiller sans cesse, éplucher leur conduite, éclairer leurs opérations, dévoiler leurs desseins ambitieux, leurs funestes projets, leurs machinations, leurs complots, et les dénoncer ouvertement, ce qui suppose la censure publique. Le premier soin d’une nation[1] par ses malheurs, et qui veut sortir de l’esclavage, doit être d’inviter tout homme instruit et désintéressé à se charger de ces fonctions honorables, de l’avouer pour sa défense, et de le couvrir de son égide.

Ce serait ne rien faire que de se borner à dénoncer les mandataires infidèles, les malversateurs, les prévaricateurs, si la nation ne se ménage pas un moyen également prompt et infaillible de les réprimer et de les punir. Le soin de sa

  1. Il y a ici une lacune évidente. Peut-être faut-il lire : « … une nation instruite par ses malheurs… »