Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/277

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Lettre première

On répète de toutes parts que ce siècle est celui de la philosophie ; mais, cher Camille, quel contraste entre nos prétentions ridicules et notre stupide crédulité ! Jamais on n’entendit tant vanter nos lumières, et jamais on ne vit tant de visionnaires, tant de dupes. Depuis plusieurs années, le peuple de tous les rangs ne court-il pas, à l’envi, après d’effrontés jongleurs, ne se fait-il pas gloire de s’attacher à leur char ?

En dépit des philosophes de nos jours, non, il n’est point de progrès pour la raison humaine : l’expérience des pères est perdue pour leurs fils ; et chaque individu, partant toujours du même point d’ignorance, ne s’instruit qu’à ses dépens.

Dans les classes inférieures de la société, les connaissances se bornent à quelques procédés mécaniques et aux moyens de se tirer de la misère.

Dans la classe mitoyenne, elles se rapportent à quelque profession, quelqu’art, quelque science, et aux moyens de prendre ses avantages avec adresse.

Dans les classes supérieures, elles ont pour objet l’art de plaire, de parvenir, de jouir, pour ne rien dire de l’art des expédients.

Ainsi, dans tous ces classes, l’éducation tend presque uniquement à exercer les organes, à cultiver la mémoire, à étouffer le naturel, ou à former l’âme à la dissimulation, à l’astuce, à l’intrigue.

Restent donc ceux en qui les lumières semblent concentrées, et qui s’érigent en précepteurs du genre humain : mais pour un sage, que d’hommes vains et superficiels !

Que sera-ce d’une nation légère, chez laquelle les prétentions tiennent lieu de mérite ; chez laquelle l’esprit dis-