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Lettre IV

Tu connais fort bien, dis-tu, qu’il n’est aucune académie qui aille au but de son institution ; mais tu ne vois pas également qu’elles aient toutes une marche opposée. Je ne vois pas, à mon tour, ce qui t’arrête.

Tu conviendras, cher Camille, que donner aux académiciens au delà du nécessaire, c’est leur donner le désir de jouir : c’est leur inspirer le goût de la dissipation ; c’est en faire des fainéants, des parasites, des piliers de théâtre[1].

Trop heureux encore, si la plupart de ces Messieurs se bornaient à ne rien faire ; mais comme il faut bien qu’ils aient l’air de faire quelque chose, ils se mettent de temps en temps à barbouiller du papier. Ainsi, au lieu de nous

  1. Ils se lèvent fort tard : leur matinée est employée à déjeuner, à lire le Journal de Paris, à recevoir des visites et à en rendre. Ils dînent en ville : au sortir de table, ils vont au spectacle, puis à quelque petit souper ; et s’ils ont pu disposer de quelques moments de loisir, ils l’ont mis à charger leur mémoire des nouvelles du temps pour fournir à leur bavardage. Voilà presque d’un bout de l’année à l’autre leur vie de chaque jour.

    J’en connais trois qui ne désemparent pas des spectacles : on les voit aux Français, aux Italiens, à l’Opéra : on les voit aux Variétés, aux Beaujolais, chez Audinot, chez Nicolet, aux Élèves.

    J’en connais un autre, à la voix pateline, dont l’étude constante est de faire sa cour aux contrôleurs des finances. Bien lui en a pris, il a voiture, jolie maîtresse et petite maison, défrayées par le public. Grâce aux profusions du ministre, il n’est plus occupé qu’à faire le galantin, à imaginer des embellissements et à cultiver des fleurs. Pourquoi ces Messieurs ne s’amuseraient-ils pas comme les autres ? dira sans doute quelqu’un. J’y consens, pourvu que ce ne soit pas à nos dépens. Au surplus, la vie d’un homme de lettres ne s’allie pas avec les amusements du monde : or, quand on l’a embrassée, il faut en remplir les devoirs, et ne pas se contenter de prendre le nom de savant, pour escroquer les bienfaits du prince, ou plutôt le pain des pauvres. (Note de Marat.)