Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/304

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toujours en augmentant, au lieu que celle de ses détracteurs tombe chaque jour. Celle de Voltaire a déjà baissé de moitié, D’Alembert et Diderot ont eu la douleur de survivre à celle qu’ils avaient usurpée. La Harpe et Marmontel n’en ont jamais eu qu’une assez mince. Ôtez les petits contes du dernier et la noire tragédie du premier, ils n’ont mis au jour l’un et l’autre que des avortons, semblables à ces femmes infécondes, qui font tous leurs efforts pour avoir un héritier, et qui n’ont plus ensuite que des fausses couches. Quoi qu’il en soit, la réputation de Rousseau sera éternelle, et si elle pouvait encore augmenter, elle recevrait aujourd’hui un nouvel éclat ; car c’est à lui surtout que nous devons l’heureuse révolution qui se prépare dans le gouvernement : si cet illustre philosophe revenait à la vie, il triompherait de voir comment ses leçons ont fructifié parmi nous ; et si la mort n’avait enlevé Voltaire, D’Alembert et Diderot, témoins de son triomphe, ils mourraient de douleur. Jugez des angoisses qu’il doit causer au fretin encyclopédique. — Je vois bien, reprit-il, que vous ignorez le coup qu’ils ont porté à sa mémoire. — J’ai ouï dire qu’ils ont insulté à ses cendres dans le parc d’Hermenonville. — Non, non, sachez qu’ils ont falsifié ses Confessions ; et que, pour mieux le diffamer, ils y ont intercalé tous les traits dont la lecture révolte. — Ce que vous dites là paraît violent : non que je ne les croie capables des dernières noirceurs ; mais encore faut-il des preuves, quand on se permet de pareilles imputations. — L’ouvrage en offre mille aux yeux d’un lecteur qui connaîtrait Rousseau comme je l’ai connu. Je ne vous parlerai pas de la maladie qu’il contracta pour avoir fait chambrée… ni de l’anecdote de la cuillère… Je ne vous parlerai ni de la scène des Tuileries, ni de celle de Notre-Dame ; je ne vous parlerai que de celle du ruban, et de celle des amours de madame de Varens. Quelque absurdes que soient les premières, elles n’annoncent que des faiblesses dont un jeune homme dans le besoin n’est pas toujours exempt ; mais celle du ruban décèle la noirceur d’âme