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ressource. Dufort et ses amis l’admirent quelquefois dans leur salon, en ayant soin seulement, quand on lisait tout haut devant lui les gazettes, de ne faire aucune réflexion. Un jour, Mme  Dufort dut avertir son mari que la ville blâmait les prisonniers d’accepter dans leur compagnie un homme tel que Rochejean. Il fallut, pour ne pas encourir la censure de ceux qui n’étaient pas en prison, renoncer à des relations qui sans doute présentaient encore plus d’agrément que de danger, et signifier au pauvre diable qu’on ne le connaîtrait plus (II. 219). Dufort le rencontra plus tard au bureau de police de Paris, où tous deux faisaient viser leurs passeports. Fidèle à sa promesse, Rochejean ne reconnut pas son ancien camarade des Carmélites.

Il ne faudrait pas se représenter les prisons de cette époque singulière sur le modèle de nos prisons actuelles. Le légendaire banquet des Girondins, et, avec un caractère heureusement moins tragique, la dernière journée de captivité de Dufort et de ses compagnons, nous font songer plutôt à la prison d’Athènes où Socrate but la ciguë, entouré de ses disciples et dissertant tranquillement avec eux sur l’immortalité de l’âme. L’existence qu’on menait aux Carmélites de Blois, où Dufort séjourna quatre mois, et à Pont-Levoy, où son beau-frère Salaberry passa, prisonnier sur parole, de très agréables moments, peut se comparer à celle que l’on trouve-