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le charme de l’histoire

Depuis 1796 Dufort n’écrit plus des Mémoires, mais un Journal. Il a achevé les récits d’autrefois, et il note désormais les événements à mesure qu’ils se déroulent sous ses yeux. À partir de ce moment, son ton change. Le souvenir est une magie ; quand Dufort évoquait le passé, il semblait avoir oublié les tristesses du présent. Il était gai, léger, pour raconter les anecdotes de la cour de Louis XV ; plus sérieux, mais encore enjoué et quelque peu railleur pour rappeler les premières scènes de la Révolution et même les misères qui l’avaient personnellement atteint, telles que sa prison. Ces chagrins passés n’étaient plus que songes. ! Mais son récit devient triste et découragé quand chaque soir, « pour épnpcher son âme, maintenant qu’il a perdu tous ses amis », il écrit les douleurs de la journée qui vient de s’écouler. Il ne note d’ailleurs que « ce qui le frappe dans le cercle étroit où il vit ». Ne cherchons pas dans son livre des aperçus sur la politique générale, sur la guerre extérieure, sur les victoires de nos armées ; tout cela se passait trop loin de lui et ne l’atteignait pas. Il parle de la situation intérieure du pays, quand il en souffre ; de la guerre civile, quand il est menacé par les incursions des Chouans ; des lois politiques, quand elles attaquent sa liberté ou ses biens ; du désordre qui désole la France, quand il en est le témoin ou la victime.