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le charme de l’histoire

exil ; mais le gouvernement, qui veut l’éloigner, n’ose pas le déporter, etc. Toutefois, de ce côté non plus, il ne pressent pas l’avenir. Le prestige du jeune général est un fait ; il n’est ni une espérance, ni une révélation. Malheureusement pour le lecteur, Dufort tombe malade quelques jours avant le 18 brumaire et reste dix mois sans écrire. Nous ne connaissons donc pas l’impression produite sur lui par le coup d’État au moment où il s’accomplit. Lorsqu’il reprend la plume, le 1er  septembre 1800, le régime nouveau est déjà consolidé et les résultats obtenus par le premier consul sont saisissants. L’ordre est rétabli. À l’angoisse des derniers jours du Directoire a succédé la confiance. « Bonaparte, écrit Dufort, s’étant heureusement mis à la tête du gouvernement, a avancé la Révolution de plus de 50 ans ; le calice était plein et débordait de tous côtés. D’ici à peu de temps nous allons savoir si nous sommes destinés à être tricolores ou unicolores. Bonaparte a fait en 24 heures à Saint-Cloud ce que tous les émigrés, le roi, le prince de Condé n’auraient pu faire avec 40,000 hommes ; il a coupé les 750 têtes de l’hydre, concentré le pouvoir en lui seul et empêché les assemblées


    En 1798, Dufort parle de la fortune invraisemblable que l’on suppose au général Bonaparte, et lui, l’homme intègre et désintéressé, il ne songe même pas à exprimer un doute ou un blâme, tant semblent naturelles, après dix ans de bouleversement social, les concussions éhontées dont le spectacle journalier a déprimé le sens moral de la France !