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le charme de l’histoire

qu’il nous présente un personnage qu’il appelle le comte de Stainville, il ne manque pas d’ajouter : « Celui qui depuis devint duc de Choiseul et fut premier ministre ». Il est impossible que ce qu’il dit à ce moment ne se ressente pas du jugement qu’il a pu porter plus tard sur l’ensemble de la vie du duc de Choiseul. De tous les hommes dont il parle, Bonaparte est le seul pour lequel nous ayons vraiment son impression primitive, parce qu’il n’a jamais su, ni même pressenti, que le jeune général en chef, ou même le puissant premier Consul serait un jour l’arbitre de l’Europe, et traînerait à ses fêtes une Cour de rois.

Cependant nous ne croyons pas que l’expérience ait beaucoup modifié ses jugements. Dufort ne nous paraît pas avoir été un de ces hommes qui réfléchissent profondément sur les événements et les caractères, et qui savent tirer de l’enchaînement des faits particuliers une conclusion générale. Il semble avoir eu plus de spontanéité que de réflexion, plus de bon sens que de portée. Ses Mémoires sont une photographie où chaque scène est exactement reproduite, et non un tableau qui l’idéalise et en dégage la formule ; il raconte plus qu’il ne juge. Nous devons donc présumer que les sentiments qui apparaissent dans le cours de son récit sont bien ceux qui l’animaient au moment où se déroulaient les événements, et non ceux que cinquante ans d’expé-